vendredi 12 décembre 2014

Gerry Fisher : d'Accident à Highlander, retour sur une filmo éclatante -VIDEOS


Artistes : Avec le décès de Gerry Fisher à l'âge de 88 ans, disparaît l'un des plus grands chefs opérateurs du cinéma, dont le nom restera à jamais lié à celui de Joseph Losey. Dont il éclaira huit films, et pas des moindres, d'Accident à Don Giovanni, en passant par Cérémonie secrète, Le Messager,  Maison de poupée, Une Anglaise romantique, M. Klein, et Les Routes du Sud. 

Mais Gerry Fisher, par la qualité de son travail sur les couleurs, le soin qu'il apportait à la captation de la lumière naturelle – rappelez-vous le soleil estival du Messager, ou bien la netteté des silhouettes égarées dans la chaleur nocturne suffocante d'Accident – a prêté ses talents à d'autres grands cinéastes. Tout d'abord comme assistant et cadreur du grand chef op britannique Jack Hildyard, il participe aux tournages du Pont de la Rivière Kwai, de Soudain l'été dernier, de Cléopâtre, et de... Modesty Blaise, de Joseph Losey. 

C'est le début d'une longue et fructueuse collaboration entre le directeur de la photographie britannique et le réalisateur américain, qui entamait la période glorieuse de son exil européen. En se lançant seul sur la lumière d'Accident, Gerry Fisher accède à la reconnaissance internationale avec Joseph Losey, mais aussi avec John Huston – Le Malin, en 1979 – Billy Wilder – Fedora, en 1979. Et surtout Sidney Lumet, pour lequel il se dépassera dans un registre sombre et claustrophobique avec The Offence (1973), solaire, mélancolique et automnal avec A bout de course (1987). Enfin, parmi sa très riche carrière, relevons deux coups d'éclat, totalement inattendus, quasi-expérimentaux et graphiques :le méconnu Wolfen (1981), dans lequel il prête ses éclairages à des regards subjectifs de loups envahissant New York, alors en pleine déliquescence ; Highlander (1986), dans lequel il est parvenu à magnifier et contenir  l'esthétique clip et choc des années 80 de son réalisateur Russel Mulcahy.

Retour sur une carrière de tout éclat.



Accident (1967)
1er film en tant que chef opérateur, 1ère collaboration avec Joseph Losey pour ce huis clos en plein air, dans l'atmosphère feutrée et estivale des milieux universitaires d'Oxford. Ses éclairages, à la fois nets comme des scalpels, restituent avec bonheur l'ambiguïté de personnages mus à leur insu par des pulsions sexuelles et des réflexes de classe, au-delà de leur vernis culturel.


Le Messager (1971)
Palme d'Or à Cannes, chef d'oeuvre de Losey, scénario de Pinter, musique de Michel Legrand, Julie Christie au summum de sa beauté. Et on raterait le principal si on omettait le travail de Gerry Fisher sur la lumière, qui joue sur les contrastes des temporalités pour évoquer le soleil aveuglant de la mémoire, et la grisaille amère du présent. Son chef d'oeuvre de sa collaboration avec Losey.


Maison de poupée (1973)
Adaptation de la pièce d'Ibsen, tournée par Losey en Norvège, dans des conditions climatiques extrêmes, c'est l'une des œuvres les moins connues de son réalisateur. Et pourtant, elle représente l'un des sommets de la collaboration Losey-Fisher, fruit d'une adaptation jamais achevée de La Montagne magique, de Thomas Mann. "J'estime que pour ce film Gerry Fisher a fait son meilleur travail", reconnaîtra le cinéaste.


The Offence (1973)
Ambiance claustrophobique pour ce faux polar situé aux confins du pays de Galles, dans lequel un flic se débat contre ses démons, entre le bien et le mal (lire : The Offence, Connery et Lumet dans un polar glauque). Thématique glauque et sombre portée à incandescence par l'interprétation de sean Connery, à total contre-emploi de ses James Bond, par la précision et l'inventivité formelle de Sydney Lumet. Et par la lumière de Gerry Fisher, qui scrute les moindres recoins de cette âme tourmentée.


M. Klein (1977)
L'autre chef d'oeuvre du tandem Losey-Fisher. Pensé comme un film en noir et blanc, M. Klein est traversé de couloirs, tunnels – autant d'étapes dans ce voyage au bout de la nuit de ce négociant en œuvres d'art, qui s'identifie peu à peu, sans raison apparente à son homonyme juif, dans le Paris de l'Occupation. Travail sculptural de Gerry Fisher sur la lumière, pour lui restituer toutes les zones d'ombre, propres à l'époque et à cet étrange destin.


Fedora (1979)
Entre la musique de Miklos Rosza, les décors de Trauner et la photographie de Gerry Fisher, Billy Wilder s'entoure des meilleurs pour livrer une oeuvre étrangement somnambulique, peuplée de monstres, fussent-ils sacrés, néanmoins destructeurs (lire nos articles). Nimbant l'intrigue d'une aura proche du sfumato de De Vinci, la lumière de Gerry Fisher accompagne majestueusement cet enterrement 1ère classe du Hollywood des studios.


Le Malin (1979)
Considéré à raison comme un des meilleurs jalons de l'oeuvre protéforme de John Huston, Le Malin s'attache à décrire l'ambiance exaltée de quelques prédicateurs et illuminés du Sud des Etats-Unis. Veine naturaliste pour le cinéaste à laquelle Gerry Fisher apporte là encore son œil pour donner une texte entre ombres et lumières à ces personnages partagés entre crédulité et folie. 


Wolfen (1981)
Pépite oubliée du cinéma américain signée par le réalisateur-documentariste de Woodstock Michael Wadleigh, à la croisée du polar, du fantastique et de la fable politique et sociale, portée par un duo impayable Albert Finney-Edward James Olmos confrontés à une invasion de loups dans le Bronx new yorkais et le trauma amérindien, Wolfen reste inoubliable par ses expérimentations techniques et narratives de caméras subjectives en lieu et place du regard des loups. Prouesse technique que l'on doit à Gerry Fisher. 


A bout de course (1988)
Sydney Lumet livre là à 84 ans son film le plus secret, le plus intime (lire : A bout de course, éloge de la fugue). Sur une magnifique lumière élégiaque, solaire et automnale de Gerry Fisher,. Chronique d’une famille perpétuellement en fuite, traquée par le FBI pour avoir commis un attentat contre un laboratoire fabriquant du napalm, A bout de course se concentre moins sur le contexte politique que sur les relations familiales. Bouleversant 


Highlander (1986)
On avait peu prêté attention au fait que ce sommet de l'esthétique clip des années 80 avait été éclairé par Gerry Fisher. Auquel on doit très certainement la maîtrise d'une lumière, notamment dans les décors naturels d'Ecosse, sans laquelle le film serait, avouons-le, irregardable aujourd'hui. Témoignage de ses facultés d'adaptation, et hommage de la jeune génération au vieux maître.


A noter aussi quelques incursions dans le cinéma français, peu marquantes, voire incongrues :  Comme un boomerang, de José Giovanni (1975) ; Rends-moi la clé, de Gérard Pirès (1981) ; Les mots pour le dire, de José Pinheiro (1982) ; Man on Fire, d'Elie Chouraqui (1987) ; K, d'Alexandre Arcady (1997). 

Signalons au passage la tristesse de voir un si grand monsieur disparaître avec tant de discrétion, alors qu'on ne rappellera jamais assez la place primordiale que joue le directeur de la photographie pour sublimer l'univers esthétique des réalisateurs avec lesquels il collabore en tandem à long terme. Comme il l'a fait avec Losey, Peter Suchitzky avec David Cronenberg, Christopher Doyle avec Wong kar wai, Roger Deakins avec les frères Coen, ou Vittorio Storaro avec Bernardo Bertolucci et Francis Coppola. Merci à @PierreFilmon et @KinoScript pour leur vigilance attentionnée.

Travis Bickle


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