mercredi 24 mars 2021

L'Etrange Monsieur Victor - Copie conforme : Pathé voit double

L'Etrange Monsieur Victor Copie conforme Blu-ray CINEBLOGYWOOD

En DVD et Blu-ray : A défaut de nouveautés dans les salles obscures, (re)plongeons-nous dans les films d'antan dans notre salon. Pathé poursuit son bon travail de restauration de son patrimoine, en proposant dans de belles éditions vidéo L'Etrange Monsieur Victor (1938) de Jean Grémillon, avec Raimu, et Copie conforme (1947) de Jean Dréville, avec Louis Jouvet et Suzy Delair. Où il est question à chaque fois de double personnalité.


L'Etrange Monsieur Victor (1938)

Etrange, Victor Agardanne ? Pour ses concitoyens, ce commerçant toulonnais est surtout bon et brave. Il fait des cadeaux aux enfants, inonde ses clientes de sa faconde méridionale et invite le commissaire à déjeuner chez lui, où il vit auprès de sa femme, son jeune fils et sa maman. Un époux, fils et citoyen modèle. Sauf que le père Victor est également recéleur. Quand un malfrat menace de révéler son activité illégale, le brave Monsieur Agardanne perd son sang-froid et tue le maître-chanteur. Un innocent, le cordonnier du quartier, est accusé à sa place et écope de huit ans de bagne. 

Jean Grémillon réalise un film sous le signe de la dualité. A plus d'un titre. Le film commence comme une comédie à la Pagnol : la Méditerranée, les personnages truculents... au premier rang desquels Raimu (sur)joue avec générosité un personnage qui ne l'est pas moins, dans les gestes comme dans les paroles. Et puis, lorsque Victor est acculé dans un sombre recoin par son corbeau, Raimu devient franchement inquiétant. Dès lors, il confère à son rôle une aura menaçante qui ne le quittera plus, malgré ses fanfaronnades de façade. Les autres protagonistes présentent tout autant des doubles visages. Madeleine Renaud campe une épouse qui, sous ses dehors effacés, évoque avec une candeur déconcertante sa lassitude face à son mari qui trop embrasse mais mal étreint. Pierre Blanchar interprète quant à lui le cordonnier injustement accusé et nous le rend tour à tour antipathique puis sympathique et enfin, ambigu. Ambiguë également son épouse qui, sous les traits de Viviane Romance, semble au départ bien légère avant de prendre la défense de son mari que tout le monde accable.

Dualité de ton, dualité des personnages et dualité encore dans la mise en scène, qui associe des images quasi-documentaires du vieux Toulon de l'entre-deux guerres et des scènes tournées dans un studio... allemand ! La photo est d'ailleurs splendide. Jean Grémillon, qui prend un malin plaisir à enfermer ses acteurs derrières des barreaux (fenêtres, ombre des persiennes...), signe ainsi un film atypique, qui aurait pu être bancal mais qui s'avère prenant de bout en bout.

Copie conforme (1947)

Manuel Ismora est lui aussi un homme à la double activité : photographe en façade et cambrioleur en coulisses. L'homme aime se déguiser pour réaliser ses coups mais c'est alors qu'il découvre qu'il a un sosie parfait en la personne de Gabriel Dupon, inoffensif vendeur de boutons. Il décide donc d'en faire son partenaire de crime afin de s'assurer d'avoir toujours un parfait alibi.

Adapté d'un film de John Ford, le film de Jean Dréville permet à Louis Jouvet de se faire un plaisir d'acteur puisqu'il incarne de multiples personnages : un voleur, un représentant de commerce, un vieux châtelain, un déménageur... Une préfiguration de L'Homme aux cent visages (Il Mattatore, 1960) de Dino Risi avec Vittorio Gassman ou L'Incorrigible (1975), de Philippe de Broca avec Jean-Paul Belmondo. Jouvet cabotine souvent mais ça passe, nickel chrome. Face à lui, il y a lui donc, mais aussi Suzy Delair, qui fait du Suzy Delair... et elle le fait bien. Elle joue une jeune femme pleine de caractère, aussi charmeuse que boudeuse. Son association avec Jouvet fonctionne bien d'autant que ce couple à deux acteurs et trois personnages nous offre des scènes divertissantes. Le film a un petit côté pétillant, qui est dû tout autant aux interprètes qu'au dialogue d'Henri Jeanson et à la réalisation rythmée de Jean Dréville. Lequel réalise quelques plans où Jouvet fait face à lui-même grâce à un procédé de caches sur l'objectif. Et c'est très bien fait. A noter, en prime, l'apparition d'un jeune et tout fin Jean Carmet dans le rôle d'un acolyte d'Ismora.

Chacun de ces combos Blu-ray/DVD nous offre une magnifique version restaurée ainsi qu'une longue analyse faisant intervenir divers spécialistes, qui reviennent sur les films, les artistes et notamment ces deux cinéastes un peu oubliés, et parfois malmenés (le gang de la Nouvelle Vague avait rangé Dréville dans le camp honni de la "Qualité France"). Les experts mettent en lumière les carrières mouvementées de Grémillon et Dréville, n'hésitant pas à pointer les faiblesses qui les ont empêché d'acquérir une reconnaissance durable. Mais, tant mieux pour nous, L'Etrange Monsieur Victor et Copie conforme font partie des pépites de leur filmographie. Quel bonheur de se replonger dans ce cinéma français qu'on aime tant !

Anderton


Aucun commentaire: