mercredi 27 octobre 2021

The French Dispatch : une virevoltante et déboussolante déclaration d'amour

The French Dispatch Wes Anderson CINEBLOGYWOOD


En salles : Avec The French Dispatch (of the Liberty, Kansas Evening Sun - pour être tout à fait précis), en compétition au Festival de Cannes 2021, Wes Anderson indique avoir voulu rendre hommage au New Yorker et à sa patrie d'adoption, la France. Le résultat est virevoltant, et parfois déboussolant, mais quel cinéma !


Bienvenue à Ennui-sur-Blasé. Une petite colonie de journalistes américains y a pris ses quartiers pour concocter The French Dispatch, un magazine qui associe investigation fouillée et exigence littéraire. En prise direct avec le terrain, de grandes plumes tentent avec style d'expliquer les particularismes et soubresauts de la société française, sous le regard rigoureux mais bienveillant du rédacteur en chef Arthur Howitzer Jr (Bill Murray).

En selle avec Herbsaint Sazerac (Owen Wilson), "The Cycling Reporter", découvrons à vélo la géographie, l'histoire et les habitants d'Ennui. Une cité toute en escaliers et pavés, où l'on bouffe n'importe où, cire le zinc à toute heure, s'engueule sur des concepts philosophiques et tapine dans des ruelles sombres. La Frrrrrance, quoi. Art correspondent au magazine, J.K.L. Berensen (Tilda Swinton) est allée faire un tour au pénitencier où un meurtrier dérangé, Moses Rosenthaler (Benicio del Toro), se révèle être un artiste génial, couvé par Simone, sa muse et matonne (Léa Seydoux). Lucinda Krementz (Frances McDormand) s'est pour sa part infiltrée au sein des étudiants révolutionnaires, qui débattent de tout et ne s'entendent sur rien, à l'instar de Zeffirelli (Thimothée Chalamet) et Juliette (Lyna Khoudri). Quant à Roebuck Wright (Jeffrey Wright), il est parvenu à accéder au saint des saints, le repas très privé du commissaire d'Ennui (Mathieu Amalric), préparé par son adjoint et chef (culinaire) Nescoffier (Stephen Park).

"Qui trop embrasse mal étreint", dit le proverbe. C'est le principal défaut du film. Wes Anderson réunit un casting monumental (outre les sus-cités, évoquons Adrien Brody, Edward Norton, Liev Schreiber, Willem Dafoe, Saoirse Ronan, Elisabeth Moss, Jason Schwartzman, Denis Menochet, Cécile de France, Guillaume Gallienne, Griffin Dunne, Henry Winkler, Bob Balaban, Christoph Waltz, Hippolyte Girardot, Félix Moati, Stéphane Bak, Benjamin Lavernhe...) qu'il propulse dans un foisonnement de décors défilant à toute vitesse. La mise en scène s'emballe, accompagnée par des voix off au débit de mitraillette. Comme si le cinéaste voulait partager toutes ses idées accumulées depuis des années sans prendre le temps de les (ex)poser pleinement. 

Les mots et les images s'entrechoquent. Tout tourne, tourbillonne, virevolte. Esthétiquement, c'est brillant. La composition des chaque plan, le travail sur les couleurs relèvent de l'orfèvrerie. Explosion de détails ("Oh, les vieux Que sais-je ? sur la commode !"), multiplication des références (de Mon Oncle à L'Homme qui en savait trop, en passant L'Assassin habite au 21 ou Irma la douce) qui, l'une comme l'autre, nous sortent parfois du récit. D'autant que la voix off (celle d'Anjelica Huston), qui débite des phrases ciselées, accapare également notre attention. Bref, le spectateur est à la fois fasciné et un peu déboussolé. Comme un reportage à vélo de Sazerac dans les méandres d'Ennui-sur-Blasé, il arrive que le rythme soit trop échevelé mais aussi que l'histoire patine, voire s'enlise par moments, donnant le sentiment que l'impressionnante machinerie d'Anderson tourne à vide.

The French Dispatch CINEBLOGYWOOD
Les références cinématographiques
de The French Dispatch
(extrait du dossier de presse)


Vivifiante déclaration d'amour

Finalement, voici le spectateur dans la position du redacteur en chef de The French Dispatch face à ses journalistes qui lui remettent un papier trop long, parfois confus mais sauvé par ses éclats stylistiques et ses fulgurances narratives. On finit par se laisser emporter par le talent de Wes Anderson : quand on commence à vouloir soupirer et qu'on sent venir le début d'un bâillement, un plan audacieux nous scotche, une réplique ou une situation nous fait rire. Et puis, on est touché par cette vivifiante déclaration d'amour au cinéma, au journalisme et à la France et aux Français. Le cinéaste joue avec les clichés que notre peuple trimballe (le plaisir de manger, de se quereller, de s'aimer, de râler) sans jamais tomber dans une vision nostalgico-moisie. Même en nous transportant dans les années yéyés, Anderson apporte une touche de modernité à ce vieux pays et à ses habitants, aussi irritants qu'attachants.

The French Dispatch n'est pas le meilleur film de Wes Anderson mais cela reste un film de Wes Anderson et on sort de la salle comme d'un gueuleton chez un tonton de Province, un peu ballonnés, un peu grisés. Il y avait peut-être trop de plats, trop de vins mais on a passé un sacré bon moment. Et ça, ça n'a pas de prix.

Anderton

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