mercredi 13 octobre 2021

Le Dernier duel : 5 raisons de se précipiter en salle

Le Dernier duel CINEBLOGYWOOD


En salles (le 13 octobre) : Malgré son titre testamentaire, Le Dernier duel n'a rien d'un film crépusculaire au ton mélancolique. A quelques semaines de son 84e anniversaire, Sir Ridley Scott prouve à nouveau qu'il n'a rien perdu de son tranchant. Associant l'épique et l'intime, dirigeant le souffle de l'Histoire sur trois destins contrariés, le cinéaste britannique réunit un formidable casting (Matt Damon, Adam Driver, Jodie Comer, Ben Affleck) dans une oeuvre qui enrichit sa filmographie d'une nouvelle démonstration de savoir-faire. Magistral pour au moins cinq raisons.


Un incroyable fait historique

Adapté d'un ouvrage d'Eric Jager, Le Dernier duel met en scène le dernier duel judiciaire qui s'est tenu en France, sous l'autorité du roi. En 1386, le chevalier Jean de Carrouges affronte dans un combat à mort son ancien ami, l'écuyer Jacques Le Gris, qu'il accuse d'avoir violé sa femme Marguerite. Incapable de statuer, Charles VI s'en remet ainsi à la justice divine : soutenu par Dieu, le vainqueur du combat fera reconnaître sa version des faits comme la vérité absolue. Jager a passé plus de dix ans à éplucher les archives pour raconter cette histoire passionnelle où les sentiments, l'honneur et les tradition s'entrechoquent avec la même puissance que les épées et les boucliers. 

Un scénario habile

Ben Affleck, Matt Damon et Nicole Holofcener ont tiré du livre un scénario à la construction habile - utilisée par Akira Kurosawa dans Rashomon - puisqu'elle permet à chacun de trois protagonistes (Carrouges, Le Gris et Marguerite) de donner "sa" vérité. A plusieurs reprises, le spectateur est ainsi amené à revoir son jugement non seulement sur l'affaire mais aussi sur la place des femmes dans nos sociétés et sur le film. Le duel tant attendu s'avère plus complexe que l'affrontement sans pitié de deux hommes tandis que la figure féminine sort progressivement de l'ombre. Il y a encore dix ans, Le Dernier duel en serait resté à l'antagonisme entre Carrouges et Le Gris. Sans donner l'impression de participer à la démarche actuelle de déconstruction de la domination masculine, Scott et ses scénaristes revisitent l'Histoire et l'histoire telle qu'on a pris l'habitude de la raconter au cinéma. De figurante, Marguerite devient rôle principal ; l'épouse soumise et muette s'affirme, prend la parole et démontre que le courage ne s'exprime pas seulement sur le champ de bataille. Un magnifique personnage féminin, comme Ridley Scott a su en mettre en lumière, de Ripley à Thelma et Louise.

Une reconstitution soignée

Ridley Scott plonge le spectateur au coeur du Moyen Age auquel le tournage en décors naturels (essentiellement dans des châteaux en Dordogne mais aussi en Irlande) donne une réalité qu'on ressent à l'écran. Le cinéaste nous confronte à un monde dur, même violent, régi par un système de règles et de traditions souvent inégalitaires et injustes. Même pour les petits nobles, la vie est un combat permanent et la guerre, un moyen de s'enrichir pour s'acquitter des taxes. Pour autant, Scott ne dépeint pas un Moyen Age complètement obscurantiste : sa vision est nuancée. Il faut dire qu'il s'y connaît en chevalerie, lui qui a été anobli en 2003. Et ce, même s'il a cherché à minimiser son rôle lors de la conférence de presse donnée à Paris le 24 septembre dernier..

Une mise en scène inspirée

Ce XIVe siècle s'avère pesant à plus d'un titre. Les châteaux sont massifs, les chevaliers lourdement armés, les moeurs et l'organisation sociale empesées... Nous sommes dans un monde d'hommes où la force prime. Ridley Scott le retranscrit via une mise en scène efficace qui exalte la puissance. Les combats se déroulent dans un déchaînement de violence qui rappelle ceux de Gladiator et de La Chute du faucon noir. Si le cinéaste est passé maître dans l'art de filmer l'action, il prouve une fois de plus sa capacité à saisir la psychologie des personnages et à rendre compte de leurs tourments. Tout en apportant ici et là une petite touche d'humour. "Humour is everything", m'a d'ailleurs glissé le cinéaste (qui n'en manque pas) lors de la conférence de presse.

Un casting au sommet 

Comme beaucoup, je crois, en découvrant les premières images du film, j'ai été rebuté par le combo barbiche-mulet de Matt Damon et le "joli bouc roux" de Ben Affleck. Rassurez-vous, on les oublie rapidement. Matt Damon sort de sa zone de confort pour incarner un homme de guerre bourrin, pas très malin et, finalement, pas très sympathique. Le comédien parvient à nous émouvoir quand Carrouges tente à tout prix de s'élever et d'obtenir la reconnaissance de ses pairs et de ses suzerains, mais Damon n'hésite pas à révéler la part la plus sombre d'un nobliau bouffi d'orgueil. Il ne rechigne pas non plus à endosser le ridicule de son personnage. Même désir de reconnaissance chez Le Gris, auquel Adam Driver transmet ambiguïté et érotisme. A l'interprétation très directe et physique de Damon, complètement raccord avec son personnage, Driver oppose une approche subtile et plus cérébrale. Une belle opposition de styles qui sert le propos du film.

Ben Affleck campe quant à lui un comte décadent et désabusé. Son interprétation, qui rejette toute approche épique (bien aidée en cela par les "fuck" que son personnage lâche régulièrement), est en décalage avec celles de ses partenaires mais là encore, ce contraste de jeu permet de prendre du recul sur ce qui se joue à l'écran. Enfin, de la même façon que Marguerite révèle sa force de caractère dans ce monde de brutes, Jodie Comer s'impose aux côtés d'acteurs chevronnés et charismatiques. Elle fait coexister chez son personnage fragilité et détermination à toute épreuve. C'est finalement elle qui remporte le duel ultime. 

Avec Le Dernier duel, Sir Ridley Scott prouve qu'il reste un cador, une épée. Il parvient à nous donner ce qu'on attendait tout en nous surprenant. La marque des très grands.

Anderton

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