mardi 25 novembre 2025

Rod Steiger : de l’ombre à la lumière

Rod Steiger briller dans l'ombre livre CINEBLOGYWOOD

Après Denzel Washington, la collection Persona initiée par les éditions Carlotta s’enrichit d’un nouveau titre consacré à un acteur majeur, mais finalement peu connu : Rod Steiger. Trapu, colérique, sa carrière a pâti de l’ombre solaire de ses contemporains issus, comme lui, pour la plupart, de l’Actors studio, Marlon Brando en tête. C’est le mérite de cet ouvrage que de remettre en pleine lumière le jeu et le style ombrageux d’un acteur majeur du cinéma américain.

Un acteur majeur trop longtemps éclipsé

Publié par les éditions Carlotta Films, Rod Steiger, Briller dans l'ombre comble un vide éditorial. Baptiste André, universitaire spécialisé dans le jeu des acteurs, consacre 180 pages à cet acteur admiré mais rarement célébré, dont la carrière exceptionnelle a souvent été occultée par ses excès personnels et par l'aura de contemporains plus glamour – Marlon Brando en tête.

Rod Steiger (1925-2002) incarne pourtant une figure essentielle du cinéma américain : formé à l'Actors Studio, oscarisé en 1967 pour son rôle de flic crapuleux et débonnaire de Dans la chaleur de la nuit, il a marqué l'histoire du septième art par son interprétation de personnages extrêmes et ambivalents – du shérif raciste de film de Jewison au survivant de l'Holocauste du Prêteur sur gages, de Sidney Lumet, en passant par le promoteur immobilier véreux de Main basse sur la ville, de Francesco Rosi.

Une structure au service de la redécouverte

L'ouvrage adopte une approche à la fois chronologique et thématique particulièrement efficace, en 5 chapitres principaux, centrés sur sa persona : Destin anatomique ; de Marty à Mussolini ; L’art de la voix ; Jeux de mains ; L’Ombre de Brando. Ce qui lui permet d’entrecroiser de brillantes analyses sur :

  • Les films majeurs : analyse approfondie de ses chefs-d'œuvre – Sur les quais d'Elia Kazan (qui lui vaut sa première nomination aux Oscars en 1954), Le Prêteur sur gages de Sidney Lumet, Dans la chaleur de la nuit de Norman Jewison, couronnement d'une carrière.



  • Les œuvres méconnues : exploration de films moins célèbres mais révélateurs de son talent – Le Sergent, de John Flyn, L'Homme tatoué, de Jack Smight, Auto-stop girl, de Peter Hall, jusqu'à Mars Attacks! en fin de parcours.

  • L'analyse du jeu : Baptiste André décortique la gestuelle expressive de Steiger, parfois débordante, toujours puissante. Sa physionomie trapue, sa voix, ses mimiques, son jeu de mains si reconnaissable, ses colères, son italianité : autant d'outils qui créent une densité dramatique unique, souvent au-delà du scénario et du film lui-même. Qui pour se souvenir du réalisateur qui fit tourner Rod Steiger dans une de ses plus puissantes incarnations, celle d’Al Capone ?

  • La résilience d'un acteur : comment Steiger a traversé les sommets (l'Oscar) comme les périodes sombres (dépressions, divorces, films mineurs), sans jamais cesser de travailler ni de prendre des risques.

Une approche critique et documentée

Le livre ne verse jamais dans l'hagiographie. Baptiste André propose une lecture nuancée, reconnaissant les limites et les échecs tout en célébrant les réussites. Le ton, érudit mais accessible, s'appuie sur une filmographie sélective, une chronologie détaillée et des analyses de jeu, parfois comparatives avec ses pairs – Marlon Brando, donc, mais aussi Ernest Borgnine - ou avec ses modèles – Charles Laughton, par exemple. L'auteur interroge notamment la manière dont Steiger rendait crédibles des figures extrêmes – racistes, dictateurs (Mussolini, qu’il incarna à deux reprises, ou Napoléon, dans Waterloo, de Sergei Bondartchouk), personnages au bord de la folie – là où d'autres auraient sombré dans la caricature.

Un ouvrage nécessaire

Briller dans l'ombre s'adresse autant aux cinéphiles avertis qu'à ceux qui souhaitent découvrir un acteur resté trop longtemps dans l'angle mort de l'histoire du cinéma. Rappelons qu’il fut aux génériques de super-productions aussi renommées que Il était une fois la révolution, de Sergio Leone, ou Docteur Jivago, de David Lean. En repositionnant Steiger au centre du débat sur le jeu d'acteur et la complexité des personnages, Baptiste André accomplit un véritable travail de réhabilitation. Et qui s’achève magistralement sur quelques couplets d’une chanson de Sananda Maitreya The Ballad of Rod Steiger (2021).

Si l'on peut regretter le manque de témoignages inédits ou d'archives personnelles, l'ouvrage n'en demeure pas moins une référence indispensable (index, bibliographie et filmographie exhaustifs) pour comprendre l'apport de cet artiste à la mise en scène de l'ombre, du doute et de la marginalité – des territoires dramatiques qu'il a explorés comme personne.

Rod Steiger, Briller dans l'ombre, Baptiste André, Carlotta Films, 180 pages.

A noter : reprise en salles à partir du 19 novembre 2025 de Les Derniers jours de Mussolini, de Carlo Lizzani. Un visionnage indispensable pour mesurer l’étendue du talent singulier de Rod Steiger. Egalement disponible en Blu-raychez Carlotta Films.

Travis Brickle


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