A lire : Après l'indispensable Dictionnaire Spielberg, les éditions Vendémiaire publient Mythes et idéologie du cinéma américain. Dans cet ouvrage, Laurent Aknin propose une passionnante analyse du cinéma de fantasy hollywoodien - lequel englobe quatre genres : les films de science-fiction, les (néo) péplums, les films d'horreur et les films de super-héros. De 300 à The Dark Knight (découvrez ici notre dossier : vidéos, photos, infos...) en passant par La Guerre des Mondes, Saw et beaucoup d'autres, l'auteur explique, met en perspective mais aussi s'enthousiasme, dézingue, réhabilite. Avec beaucoup de talent et d'intelligence. Laurent Aknin a ainsi accepté de répondre à nos questions.
Les attentats du 11-septembre ont profondément marqué la société américaine et, naturellement, les productions hollywoodiennes. Quel a été l'impact immédiat de ces événements sur ce que vous appelez le cinéma de fantasy ?
Laurent Aknin : L’impact n’a pas été instantané ; il faut comprendre que la machine hollywoodienne est très lourde, et que le temps de réaction peut être de plusieurs mois, voire d’une ou deux années (le cinéma indépendant ou la télévision ont des réactions plus rapides). Le seul impact immédiat a été la suppression d’une séquence de Spider-Man (celle durant laquelle le super-héros capturait un ennemi en tissant une toile entre les Twin Towers). Mais sitôt après cette phase de latence, l’impact s’est révélé immense et profond. C’est à partir de 2003 que l’on constate que l’esprit a changé. Les deux derniers films de la trilogie Matrix, ou bien Daredevil, en sont des témoignages frappants, par leur noirceur, leur tonalité sombre et tragique.
Dix ans après, Hollywood s'est-il affranchi de la tragédie du 11-septembre ?
Non, pas du tout. Il suffit de voir la dernière partie des Avengers pour constater que l’attaque sur New York est encore présente dans tous les esprits. Mais il est un film récent dans lequel cet événement est traité, symboliquement, de manière plus profonde encore : Battleship. Je regrette vivement de ne pas avoir pu le voir à temps pour l’inclure dans ce livre, car, s’il s’agit d’un film de propagande militariste assez balourd, il est vraiment exemplaire si on prend le temps de le « décoder ».
Sur le papier, il s’agit d’un nouveau « film d’invasion » avec un esprit Transformers, puisqu’il est coproduit par Hasbro. Mais le produit final laisse pantois. Car l’action ne se situe pas n’importe où : c’est à Pearl Harbor. Or, il est maintenant admis que le 11 septembre a eu aux Etats Unis un impact équivalent à l’attaque japonaise de 1941 – sur le plan du traumatisme, il a dépassé l’assassinat de Kennedy. Il est d’ailleurs très instructif de le comparer au film de Michael Bay sorti durant l’été 2001. Donc, aujourd’hui, il faut comprendre que si, dans une fiction, on évoque « Pearl Harbor », il faut comprendre « 11 septembre ». D’ailleurs, pour bien établir le lien, l’accident des vaisseaux ennemis provoque l’effondrement de tours dans une mégalopole. Ce qui fait qu’ensuite, le film « rejoue » Pearl Harbor ; il commence même par la défaite des Etats-Unis contre les Japonais... au football, et se termine par leur victoire finale grâce au cuirassé « Missouri » sur lequel a été signé la capitulation de mai 1945. C’est donc un film de revanche sur le 11 septembre.
Par la même occasion, le film reprend la plupart des thèmes du cinéma de fantasy américain actuel : repli sur soi (l’invasion a lieu parce qu’on a eu la très mauvaise idée de chercher à prendre contact avec une autre intelligence), clôture de l’espace (il y a une scène de « fermeture des portes » quasiment identique dans Avengers !), référence constante à la seconde guerre mondiale….
Y a-t-il une idéologie qui sous-tend le cinéma de fantasy actuel, comme le laisse entendre le titre de votre livre ?
Il y a toujours une dimension idéologique dans le cinéma de fantasy ; c’est même l’une de ses caractéristiques. Plus un film parle d’un univers « autre », ou crée un « univers second », comme l’aurait dit Tolkien, plus il parle en fait du monde contemporain. Il brasse des mythes ; certains antiques, d’autres totalement contemporains, et il en découle un discours, un récit (c’est le sens de « muthos » en grec) qui est le reflet d’une idéologie. Sauf qu’il aurait peut - être fallu rajouter un « s » à « idéologie », car le cinéma de fantasy américain n’a jamais été monolithique, ni univoque. Actuellement, il balance entre le patriotisme affirmé, la nostalgie des temps anciens, et l’inquiétude face aux temps à venir. Une constante semble être que ce cinéma offre l’image d’un pays qui se considère en déclin, sans même en avoir vraiment conscience…
Entre le cinéma de fantasy et le cinéma hollywoodien classique des années 1950-60, faut-il parler de rupture ou de continuité ?
Il y a eu une rupture immense, mais celle-ci est en fait intervenue dans les années soixante-dix, au moment de l’apothéose du « Nouvel Hollywood » ; celui-ci n’a pas seulement révélé une nouvelle génération de cinéastes, mais il a aussi radicalement transformé le contexte économique de production et d’exploitation. C’est Le Parrain qui a inauguré le principe des sorties massives, ainsi que celui des « suites numérotées » ; c’est Jaws qui a créé le phénomène des blockbusters estivaux. Nous sommes toujours plus ou moins dans ce système, mais qui commence fortement à montrer ses limites ; de sorte que nous sommes peut-être, sans le savoir encore, dans une nouvelle période de rupture et de transformation. On sent que Hollywood cherche frénétiquement à se renouveler, sans trop savoir comment. L’avalanche des pitoyables films en 3D en est l’illustration.
Une des principales critiques envers le cinéma hollywoodien actuel est qu'il n'arriverait pas à se réinventer d'où la multiplication des sequels, remakes et reboots. Or vous montrez que cela n'est pas incompatible avec un renouvellement des genres et l'émergence de cinéastes originaux. Il y a donc un espoir pour les blockbusters ?
En fait, on constate que les « blockbusters » qui reportent effectivement un vrai succès sont de plus en plus rares.. Ceux-ci viennent la plupart du temps de la part de créateurs qui ne se contentent pas du « visuel » et des effets spéciaux, mais qui parviennent à construire un récit dense et profond. C’est le cas de Christopher Nolan, par exemple : le scénario d’ Inception est d’une complexité hallucinante. Je pense même que le succès d’Avatar ne provient pas seulement du relief (certes fabuleux dans ce cas), mais aussi du fait que le récit puise dans des fonds mythologiques universels en leur donnant une nouvelle actualité. C’est un film qui va très loin dans le rappel des archétypes : l’initiation, l’arbre sacré, etc. C’est ce que beaucoup de blockbusters échouent complètement à mettre en valeur.
A vous lire, l'échec commercial de John Carter semblait prévisible. Pourquoi ?
Parce que, précisément, il ne tenait absolument pas compte des modifications du régime de l’imaginaire dans l’époque contemporaine. C’est dommage, car le roman de Burroughs est très plaisant et est à l’origine de très nombreux concepts de la SF. Mais produire un tel film, au premier degré, en 2012 est un non-sens. Comment même espérer adhérer à une aventure située sur la planète Mars telle qu’on l’imaginait à l’époque de Burroughs, alors que même le jeune public sait qu’il n’en est rien ? Pour fonctionner, l’imaginaire ne doit pas se heurter à la réalité, c’est une règle de base que le film a complètement oublié.
Quels sont les films que vous attendez avec le plus d'impatience et pourquoi ?
Prometheus, bien sûr, car je me demande comment le mythe va évoluer (et à propos de mythe : quel titre !). Man of Steel : la rencontre de Christopher Nolan et de Zack Snyder autour de Superman ! Et le prochain film de Josh Trank, quel qu’il soit.
Un grand merci à Laurent Aknin et aux Editions Vendémiaire
Anderton
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire