En salles : Bertrand Bonello. L’une des plus spectaculaires évolutions du cinéma français à laquelle on assiste depuis la fin du siècle dernier. Du Pornographe à Nocturama, en passant par De la guerre, L’Apollonide et Saint-Laurent, le cinéaste poète et théorique, parfois abscons et fumeux, s’est métamorphosé en prince esthète, rock et voluptueux des univers décadents à la Baudelaire et Visconti. On peut ne pas aimer, mais il faut ici saluer l’un des cinéastes français les plus personnels, inventifs et audacieux du moment.
Prince esthète de la mise en scène
Avec son 7ème film, Nocturama, on retrouve tout ce qui fait le prix des deux derniers Bonello, L’Apollonide et Saint-Laurent : un brio inégalé pour immerger le spectateur dans un lieu clos – celui d’un grand magasin, transformé ici à la fois en refuge matriciel, à usine à fantasmes et à piège consumériste ; une construction sensorielle et graphique, composée de ballets pédestres et métropolitains dans un Paris magnifié par le scope et le numérique, à la manière d’un Gus van Sant ; une ambiance sonore inouïe dans le cinéma français, mention au mixage de Jean-Pierre Laforce et à la BO qui se paye le luxe de mixer John Barry, Blondie et My Way ; enfin, son goût pour les univers contestataires et décadents, ce qui lui permet de faire allusion à la fois à l’Antonioni de Zabriskie Point et au Visconti des Damnés.
Gros malaise
Pour autant, au-delà de l’éclat d’une réalisation captivante, Nocturama nous plonge dans l’embarras. En suivant les pérégrinations d’un groupe d’une dizaine de jeunes posant des bombes à Paris dans des lieux symboliques de l’oppression politique, sociale et économique, puis se réfugiant dans un grand magasin, Bertrand Bonello se retrouve de plein fouet bousculé par l’actualité des attentats parisiens de janvier et novembre 2015. Gros malaise. Certes, il en a pris compte en modifiant le titre de son film – initialement baptisé Paris est une fête, en hommage à Hemingway, gros succès de librairie après les attentats de novembre 2015, il devient Nocturama, en double clin d’œil à l’album homonyme de Nick Cave et au roman de Bret Easton Ellis, Glamorama.
Rattrapé par l’actualité
Loin de remettre en cause sa très belle envie formelle de faire un film politique, sans discours, comme un geste d’esthète, de réactiver l’insurrection des années 70 dans le cadre des années 2015, de confronter des acteurs chevronnés – Finnegan Oldfield, Vincent Rottiers, Luis Rego, Adèle Haenel – à de jeunes acteurs qui font leurs premiers pas à l’écran – Manal Issa, Hamaza Meziani, Martin Guyot notamment ; de travailler les événements d’un point de vue sensoriel, immersif et onirique, plutôt que politique et discursif, il est compliqué de lire le film aujourd’hui, avec les attentats parisiens de novembre. D’autant que les dernières scènes du film ne laissent aucune ambiguïté quant au camp choisi par le cinéaste... Peut-être Bonello aurait-il dû se plonger dans La Conspiration de Paul Nizan, pour davantage nuancer son propos, ainsi que le portrait qu’il livre à travers ce film de la génération des jeunes d’aujourd’hui.
Travis Bickle
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