Artistes : Johnny Hallyday est mort. Au lieu d’évoquer l’interprète, évoquons ici l’acteur. Une trentaine de films à son actif, quand même. Un enfant de la balle qui débute comme figurant dans Les Diaboliques, d’Henri-Georges Clouzot, ne pouvait pas mieux commencer. Pourtant, c’est un sentiment de rendez-vous manqué qui domine, malgré la fascination qu’exerçait le cinéma sur le chanteur. Et l’attrait qu’il provoquait auprès de cinéastes aussi divers que Godard, Pialat, Rouffio, Lelouch ou Leconte. Décryptage du paradoxe Johnny.
Populaire à la scène, beaucoup moins au cinéma
Comme celle de beaucoup de chanteurs, la carrière de Johnny Hallyday a emprunté les voies du 7e art. On le savait fasciné par le cinéma hollywoodien, et notamment par l’Actor’s studio. A la question de savoir quels films l’avaient marqué, il répondait en 1984 : "Tous les films d’Elia Kazan, Sur les quais, Un tramway nommé désir, A l’Est d’Eden. (…) C’est à travers ses films que j’ai aimé des acteurs comme James Dean ou Marlon Brando qui sont devenus par la suite des idoles" (in Première, n°93, décembre 1984).
Pas étonnant qu’il ait tenté de courir après cette légende, en quête d’un certain cinéma américain dont il aurait voulu reprendre les codes made in France. Mais force fut pour lui de reconnaître que la greffe était difficile, voire impossible – son acolyte Eddy Mitchell en fera la même amère expérience en tant qu’acteur fasciné par Hollywood. C’est pourquoi au mitan des années 80, le cinéma lui offre le rôle qu’il est le mieux à même d’incarner : lui-même. C’est alors que sa présence, son visage buriné par les épreuves, ses yeux bleus délavés commencent à faire le bonheur des cinéphiles. Car aussi paradoxal cela soit-il, l’immense star populaire qu’il était sur scène ne lui a jamais permis de percer avec la même envergure au box-office. Reste des rôles marqués par son charisme, même s’il s’agit de films qui ne furent jamais les meilleurs de leurs réalisateurs.
A l’américaine
Dans un premier temps, la filmographie de Johnny se compose de rôles de genre, dans une volonté manifeste d’importer en France un modèle hollywoodien. Autant le dire, c’est dans ce genre de rôle qu’il a fait ses plus gros nanars. Le film de rock à la Elvis, comme D’où viens-tu Johnny (1963). Le western, avec Le Spécialiste (1969), de Sergio Corbucci, récit néo-eastwoodien d’une vengeance dans une bourgade de l’Ouest américain ; le polar hard boiled à la Fuller, avec A tout casser, de John Berry ; le polar, avec La Gamine (1991), d’Hervé Palud, avec une débutante nommée Maïwenn ; Point de Chute, de Robert Hossein dont il déclarait à Marc Esposito qu’il s’agissait du film de sa première période qui lui avait donné le plus de plaisir d’acteur ; plus récemment, le film de cambriolage, avec Wanted (2003), qui rassemble un casting bigarré : Renaud, Depardieu, Harvey Keitel.
Peu de réussites dans ces tentatives d’importation en Europe de genres liés au cinéma américain, donc, avec pour summum la version made in France de Mad Max, Terminus (1987), dont l’échec retentissant au B.O . mit un terme à la carrière de son réalisateur Pierre-William Glenn en tant que réalisateur et n’affecta guère la carrière du chanteur.
Lui-même
De nombreux films ont servi à établir sa légende. Dans lesquels il composait des variations sur un même thème : Johnny Hallyday. Dans lesquels il jouait même souvent son propre rôle. Jean-Philippe, de Laurent Tuel (2006), dans lequel il s’autoparodie dans le rôle d’un chanteur qui ne serait pas parvenu à devenir... Johnny Hallyday ! On peut encore citer, version arty et fétichiste, Love me (2000), de Laetitia Masson, dans lequel il incarne un chanteur idôlatré par une de ses fans.
A plusieurs reprises, Johnny incarne Johnny. Dans L'Aventure c'est l'aventure (1972), de Claude Lelouch, la star se fait enlever en plein concert par l'équipe de bras cassés incarnés par Lino Ventura, Jacques Brel, Jacques Denner, Charles Gérard et Aldo Maccione. S'ensuit une scène qui semble improvisée, dont la réussite tient à la joie non dissimulée de la bande. Un film dont Hallyday interprète également la chanson-titre. Johnny joue encore Johnny dans Paparazzi, d’Alain Berberian, et plus récemment dans Rock’n roll (2017) de Guillaume Canet. Mais son plus beau rôle en tant que Johnny reste celui de Mischka (20002), de son pote Jean-François Stévenin. On n’est pas près d’oublier son apparition en hélicoptère, comme un rêve devenu réalité.
A la disposition de son metteur en scène
Après 15 ans de sevrage cinématographique, Johnny Hallyday revient au cinéma avec Jean-Luc Godard, dans Détective en 1985. "Ce qui m’intéressait avec Godard, c’était de casser mon image", déclarait-il à Marc Esposito (Première 93, décembre 1984). Casting glamour – sa compagne d’alors Nathalie Baye, Claude Brasseur, Alain Cuny – montée des marches à Cannes, pour une œuvre... de Jean-Luc Godard ! Il y trimballe sa carcasse un peu voûtée et fatiguée pour un rôle emblématique et fait pour la gloire : "Quand tu fais un film avec Godard, tu te dis que c’est un film qui restera. (…) C’est quand même une satisfaction".
Conseil de famille, de Costa Gavras (1985), est une comédie policière qui se voit sans déplaisir. Reste deux films, dans lesquels Johnny Hallyday va sculpter son personnage : L’Homme du train (2002), de Patrice Leconte ; face à Jean Rochefort, il y est un truand en cavale qui se réfugie chez un vieux professeur aux antipodes de son caractère taciturne et taiseux. Un rôle melvillien pour le chanteur, pour lequel il reçoit le prix Jean Gabin, mais échec commercial en France. Dommage, car c’est peut-être là qu’il fut le meilleur.
Enfin, en 2009, pour un rôle initialement prévu pour Alain Delon, il s’envole pour Hong Kong rejoindre Johnnie To, pour lequel il compose un personnage mutique, quasi-muet, melvillien – pas un hasard s’il s’appelle Francis Costello, le patronyme d’Alain Delon dans Le Samouraï. Nouvelle montée des marchés, nouvel échec commercial, malgré succès critique unanime.
Travis Bickle
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