En salles : David Lowery n’en finit plus d’être hanté par Terrence Malick. Après Les Amants du Texas, qui revisitait en filigrane La Balade sauvage, il reprend les mêmes acteurs – le couple si charismatique Casey Affleck-Rooney Mara – pour A Ghost story, une version inspirée de Tree of life. A ceci près que là où le maître texan occupait 2h40 pour partager sa métaphysique et l’odyssée d’un couple, son disciple boucle la boucle en 1h30, avec une inspiration et une inventivité rarement égalées. Quelques raisons de croire aux fantômes.
Une intrigue minimaliste
Elle, M, est en menage avec son homme, un musicien, C. Alors que le couple s’interroge sur son avenir, il meurt à la suite d’un stupide accident de voiture. Avant de se transformer en fantôme errant, assistant au deuil de sa compagne, à son déménagement, à l’installation de nouveaux arrivants, et ce indéfiniment, jusqu’à la fin des temps.
Audace formelle
Car on peut parler d’audace. Oui, d’audace à filmer le vide, le rien, le temps qui passe pendant 90 minutes. Car c’est le sujet du film : le deuil, ses non-dits, ses regrets. Qui sont pris en charge par la caméra de David Lowery sans le moindre dialogue, juste avec des regards, une lumière tamisée, une musique réconfortante. Cette esthétique minimaliste, qui rappelle celle du cinéma muet, il la pousse à son paroxysme pour nous faire voyager dans le temps, dans le passé et dans le futur. Et c’est bouleversant et déchirant. Car aucune rédemption, aucun sentiment de culpabilité ou tentative de communication avec les vivants ne vient perturber ce programme de tristesse infinie.
Casey Affleck encore plus haut
Quel acteur accepterait un tel rôle, celui d’un défunt, ressuscité en fantôme tel Casper et camouflé derrière un drap blanc, pendant 90% du film, baptisé M ? Je ne vois pas. A moins que la folie visuelle d’un cinéaste lui donne une confiance telle qu’il y devine qu’il y a là de quoi livrer sa meilleure performance – ce n’est pas loin d’être le cas, tant Casey Affleck, tout juste auréolé de son Oscar pour Manchester by the sea, est d’une justesse et d’une émotion rarement atteintes à ce niveau. On pleure, on vibre, on s’émeut à chacune de ses apparitions, qui auraient pu tomber dans le ridicule sous la caméra d’un autre réalisateur.
La tristesse durera toujours
Petit miracle d’inventivité et d’audace formelle, A ghost story tire sa force de ses partis pris de mise en scène : format de l’image en 1.33, avec coins arrondis, plans fixes, longs et lents travellings millimétrés. Le film aurait pu tourner à l’exercice de style, c’est vrai. Mais la durée des plans, leur répétition, s’impriment durablement dans la rétine du spectateur, au point de lui faire ressentir l’immense chagrin qui habite ce fantôme. En privilégiant la mise en scène aux effets scénaristiques, le minimalisme au trop plein, le point de vue du fantôme à celui des vivants, David Lowery gagne haut la main son pari de cinéaste. Et nous permet de croire, le temps d’une projection, à l’existence et la solitude des fantômes.
Travis Bickle
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