mercredi 18 décembre 2019

Cartouche : Bébel et de Broca font mouche

En Blu-ray et DVD : Rien de tel qu'un film de Philippe de Broca pour oublier la morosité, le cynisme et la mesquinerie de notre époque. Surtout si Jean-Paul Belmondo est au générique. Et avec Cartouche, réédité en vidéo dans une superbe version restaurée, place au panache ! A la joie ! A l'intelligence !



Inspiré de la vie du célèbre brigand  qui a sévi au XVIIIe siècle, le film raconte comment Dominique le voleur des rues est devenu Cartouche le chef de bande, le roi de la Cour des miracles, le détrousseur de riches et le tombeur de femmes. De son bref passage à l'armée, Cartouche revient avec deux amis - La Douceur et La Taupe - et un amour, Vénus. A Paris, il détrône le cruel Malichot, à la tête de tous les bandits de la ville, et s'en prend aux biens de la noblesse avant de convoiter l'épouse du lieutenant général.

Une histoire qui annonce la révolution et qui s'avère ô combien contemporaine mais gare à ceux qui voudraient faire de Cartouche un ancêtre de certains rebelles actuels. "On ne s'attaque qu'aux grands, annonce-t-il à sa bande de brigands. Je ne vois pas pourquoi les grands sont les seuls à avoir le droit de porter des plumes et des dentelles." Mais plus tard, il lâche : "Ils n'ont que la vengeance à la bouche. Et ils s'étonnent de rester pauvres".


Tout commence comme un film de cape et d'épée comme le cinéma français savait si bien en produire. De l'action, de l'humour, des costumes magnifiques, des décors splendides... Et très vite, Philippe de Broca prend la tangente. Son héros espiègle et bondissant n'est pas le Robin des Bois qu'on attendait : s'il exècre la condescendance, la morgue et l'opulence obscène des riches, il n'a que mépris pour la violence irraisonnée des pauvres. Cartouche a beau être généreux, il est surtout libre. Libre de voler qui il veut et quand il veut, d'aimer plusieurs femmes à la fois, de se construire un royaume pour vite s'en lasser. L'homme préfère la chasse à la prise, comme disait Pascal. Tous les thèmes de Philippe de Broca sont exposés dans ce long-métrage.

La musique de Georges Delerue nous touche, les dialogues de Daniel Boulanger font mouche. "Je t'aime", déclare ainsi Vénus à Cartouche. "Normal", lui répond-il, anticipant le "I love you. I know", entre Leia et Han Solo dans L'Empire contre-attaque. Et les acteurs ! La fougue de Jean-Paul Belmondo et la beauté sidérante de Claudia Cardinale nous hypnotisent. Les seconds rôles sont autant de bijoux dans ce coffre au trésor : Jean Rochefort, Jesse Hahn et Jacques Balutin interprètent d'attachants fripons ; Marcel Dalio incarne une sublime ordure tandis qu'Odile Deversois, avec ses faux airs de Marine Vlady, campe avec innocence l'épouse du lieutenant général. On croise également l'impayable Noël Roquevert mais aussi Paul Préboist, Philippe Castelli, Jacques Charon, Pierre Repp, Sim, Pierre Maguelon...


Avec sa mise en scène enlevée, de Broca nous emporte dans une cavalcade éclatante de couleurs, ponctuée de rires et de combats mais aussi traversée par une mélancolie tenace. La mort rôde. C'est beau à en pleurer. Du grand art qui bénéfice d'une magnifique restauration. Le Blu-ray, édité par StudioCanal, est complété par un bonus signé Jérôme Wybon, dans lequel Alexandra de Broca, la veuve du cinéaste, et le journaliste Thomas Morales reviennent sur ce bijou baroque et l'art du grand Philippe.



Philippe le philosophe
Le philosophe Jean-Pierre Zarader a consacré plusieurs ouvrages au cinéaste, dont il a su mettre en lumière la profondeur et la cohérence de l'oeuvre. On pensait qu'il avait tout dit. Que nenni ! Dans Philippe de Broca, Caméra philosophique, publié aux éditions Klincksieck, le spécialiste peaufine son exploration d'une filmographie sous-estimée et dont il dévoile l'étonnante richesse. Zarader convoque Pascal, Leiris ou Derrida pour établir un dialogue avec de Broca. C'est d'autant plus brillant que le texte est accessible, même à ceux qui n'ont pas fait de philo depuis la terminale. L'analyse de Cartouche permet de repenser le film sous un nouveau jour.

Anderton

Aucun commentaire: