lundi 9 décembre 2019

Le Distrait : Pierre Richard et l'invention du pierrot lunaire et anar

En Blu-ray et DVD : A l'orée de son 50e anniversaire, Le Distrait débarque en vidéo dans une somptueuse version restaurée. Une comédie de et avec Pierre Richard dans laquelle celui qui n'est pas encore le grand blond avec une chaussure noire invente ce qui deviendra son personnage fétiche (et parfois chétif) : un Pierrot lunaire qui traverse (et dynamite) la vie à grandes enjambées.



Pierre Malaquet (Pierre Richard) est pistonné. A coups de "gazou, gazou", sa mère (Maria Pacôme) convainc son amant, Alexandre Guitton (Bernard Blier), patron de l'agence de pub Jéricho, d'embaucher son rejeton. Lequel est bourré d'idées mais plutôt farfelues. Et elles passent d'autant moins bien que Pierre est un incorrigible distrait, qui enchaîne les bévues.


S'il ne s'appelle pas encore François Perrin (ça viendra deux ans plus tard dans Le Grand blond avec une chaussure noire puis dans quelques autres films écrits par Francis Veber), Malaquet est bien le double de Richard. D'ailleurs, il se prénomme également Pierre. Prénom dont seront souvent affublés les rôles du comédien. Et pour cause, ces personnages distraits ou maladroits, gentils et doux rêveurs, reflètent la personnalité de Pierre Richard. C'est d'ailleurs Yves Robert, coproducteur du Distrait, qui a dit à son Pierrot qu'il n'était ni un acteur, ni un comédien mais un personnage. Le Pierrot ne l'a d'ailleurs pas bien pris au départ, comme il le raconte dans un bon entretien accordé à Jéremie Imbert et disponible dans le Blu-ray. C'est vrai quoi, Pierre Richard avait déjà roulé sa bosse, un peu au cinéma, à la télévision, au théâtre et au café-théâtre, notamment en duo avec Victor Lanoux. Mais Yves Robert, qui a fait jouer Richard dans Alexandre le bienheureux (1968), a eu le nez creux. Et quand Richard est venu le voir avec un scénar sous le bras, le réalisateur de La Guerre des boutons lui a dit d'emblée que seul lui, le blond bouclé, pourrait mettre en scène son univers si particulier. Pierre Richard a donc réalisé son premier film.

Pierrot lunaire et anar

Le résultat est drôle, tendre, parfois maladroit, empreint de poésie et de fantaisie. A l'image de Pierre Richard/Malaquet. Le film a plutôt bien vieilli. Sa critique de la publicité (qui annonce celle signée Jean Yanne dans Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, en 1972) fait parfois sourire tant elle est aujourd'hui en deçà de la réalité mais elle garde également une fraîcheur bienvenue en cette période bien cynique. Et puis, certains détournements sont très bien vus. Richard invente sous nos yeux un personnage tout de suite très attachant, que l'on prendra plaisir à revoir sous d'autres identités tout au long de sa filmographie. A savoir : un grand naïf qui plane en permanence, survolant les situations avec l'inconscience d'un enfant, et qui redescend parfois sur terre pour arpenter le monde à grandes et souples enjambées. Un jeu de jambes qui a d'ailleurs beaucoup plu à Jacques Tati. Mais sous des dehors inoffensifs, Pierre (le vrai comme celui de fiction) s'avère être un hippie un brin anar (et inversement) qui fait imploser notre société de consommation et les pouvoirs établis à coups de gaffes, bévues et boulettes, pour reprendre le titre d'un album de Gaston Lagaffe, lointain cousin de Malaquet.

Gaffes et bévues

Au-delà des gags bien trouvés, Pierre Richard nous réserve quelques propos emberfilicotés à la Pierre Repp et quelques numéros musicaux qui évoquent ceux de Jerry Lewis. Bref, il montre l'étendue de son savoir-faire devant la caméra. Et derrière, assisté par une équipe bien choisie par son coproducteur Yves Robert, il signe une mise en scène mêlant plans inventifs et séquences dignes d'une caméra cachée. Il a également su s'entourer d'une brochette d'acteurs qui apportent beaucoup de saveur aux seconds rôles, Blier et Pacôme donc mais aussi Marie-Christine Barrault, Paul Préboist, l'inévitable Robert Dalban, Catherine Samie, Micheline Luccioni (cette voix !), Tsilla Chelton, François Maistre (le commissaire Faivre dans Les Brigades du Tigre !), Jacques Monod (avec son physique de notaire pompidolien, également vu dans les mêmes Brigades et dans Vidocq), Yves Barsacq et Romain Bouteille. Patrick Bricard (François dans L'Ile aux enfants) apparaît même le temps de deux courtes répliques tandis qu'Yves Robert vient également participer à un gag. Un mélange des styles qui fonctionne parfaitement. Et tout ce petit monde s'agite au rythme d'une partition joyeuse et enlevée signée Vladimir Cosma. Un compositeur dont la carrière sera bientôt indissociable de celle de Pierre Richard.

Ultime plaisir du film : (re)découvrir la France des années 1970, dans laquelle la modernité pop côtoie des modes de vie archaïques ou kitsch. Et c'est tout le mérite de cette restauration signée Gaumont d'en faire ressortir les moindres nuances - à la plus grande joie des cinéphiles de ma génération qui ont vu et revu Le Distrait à la télé et sur VHS. Un bonus montre d'ailleurs quelques images du film, avant et après restauration. Quant à l'entretien de Pierre Richard, il est riche en anecdotes sur les coulisses de ce film décidément plein de charme. 

Anderton

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