Artiste : Hasard du calendrier, Michel Blanc is back dans les bacs. En blu-ray. Et, qui plus est, dans deux comédies grinçantes : Tenue de soirée (1986), de Bertrand Blier, et Grosse fatigue (1994), deuxième réalisation de l'acteur. Le passage des ans n'a en rien entamé la force des films, servis par des mises en scène classieuses et des interprétations monumentales, et dont le propos sur l'identité au sens large s'avère complètement d'actualité.
Tenue de soirée : la romance selon Blier
"Putain de film", annonçait en très gros l'affiche de Tenue de soirée lors de sa sortie en salle. Le public n'était pas trompé sur la marchandise. Plus de 30 ans plus tard, la formule est toujours exacte. Bertrand Blier a signé un film d'une élégance folle et d'une liberté totale. Une histoire d'amour inattendue à la fois hilarante et poignante. Monique en a marre d'Antoine, qui est fou amoureux d'elle. Débarque Bob, les poches pleines de biftons et une idée derrière la tête : faire d'Antoine sa reine. Ce dernier se débat mais Bob prévient, ça ne sert à rien de donner des coups de poings dans son destin.
On connaît la qualité des scénarios de Bertrand Blier. Celui-ci, il l'a longuement mûri, inspiré par la relation homoérotique entre Patrick Dewaere et Gérard Depardieu. Et puis, quand Blier a été prêt à passer à l'acte, Dewaere a mis fin au projet en mettant fin à ses jours. Le script a été remisé au tiroir pendant plusieurs années, jusqu'à ce que le cinéaste envisage de trouver un nouvel interprète à Antoine. Bernard Giraudeau et surtout Pierre Richard ont été approchés mais le grand blond préfère se retirer. Trop sulfureux. Finalement, Blier porte son choix sur Michel Blanc et cela tombe bien, l'acteur vit momentanément en retrait des plateaux. Après l'énorme succès de Marche à l'ombre (1984), il ne veut plus incarner de loser lourdingue, qui gonfle ses potes et se prend des râteaux auprès des femmes. Le rôle d'Antoine lui offre l'occasion de camper un magnifique paumé et de révéler au grand public toutes les nuances de son jeu. Une révélation qui lui vaudra le prix d'interprétation masculine au Festival de Cannes. Méritée, la récompense. Car jamais Blanc ne tombe dans le ridicule ou la caricature qu'aurait pu provoquer son travestissement. Antoine évolue, laisse éclore sa féminité et surtout, s'abandonne à l'amour. Un amour qui n'est pas lié à une personne, ni à un sexe.
Transformation du personnage, transformation de l'acteur. Chacun est bien entouré. Le triangle amoureux est complété par Gérard Depardieu et Miou-Miou. Le premier campe un ogre qui dévoile peu à peu sa sensibilité ; la seconde, une brave fille dont on découvre également les fêlures et les aspirations. Et si Tenue de soirée était une comédie romantique ? Le film est en tout cas porté par les interprétations magistrales des comédiens. En plus du trio, on retrouve Jean-Pierre Marielle, Bruno Cremer, Jean-François Stévenin, Michel Creton, Caroline Sihol, Mylène Demongeot et Jean-Yves Berteloot. Chacun dit avec beaucoup de justesse les dialogues ciselés de Bertrand Blier. Les répliques claquent, truffées de grossièretés, empreintes de poésie. Quelle langue !
Aucune vulgarité, pour autant. Blier survole parfois la fange mais c'est pour mieux montrer la beauté des fleurs qui y poussent. Et les éclats de rire s'interrompent parfois brutalement dans nos gorges nouées par l'émotion. La mise en scène fait la part belle aux mouvement de caméras sensuels, qui tranchent avec la brutalité de certaines situations tout en révélant l'essor des sentiments. Magnifique photo de Jean Penzer. Les décors de Théobald Meurisse sont somptueux. Et n'oublions pas la musique : Serge Gainsbourg s'amuse avec un air de bal musette, balance un funk-rock poisseux et met en musique la mélancolie. Classe. Classieux !
StudioCanal propose dans l'édition Blu-ray L'intelligence plutôt que la connerie : le tournage de Tenue de soirée, excellent bonus réalisé par Jérôme Wybon à partir d'images de l'époque. Blier, Blanc et Miou-Miou reviennent sur le film et le scandale qu'il a provoqué. On voit aussi les acteurs se marrer sur le plateau. Et il y a même Gainsbarre qui vient expliquer pourquoi il ne pouvait pas passer à côté de ce projet.
Grosse fatigue : star au bord de la crise de nerfs
Il y a des matins comme ça où tout part en vrille alors qu'on n'est pas encore bien réveillé. C'est ce qui arrive à Michel Blanc, convoqué par la police et conspué par ses amis. Il faut dire que depuis un petit moment, le comédien se comporte très mal. Enfin, c'est ce qu'il découvre avec effarement, sans rien y comprendre. On lui reproche des atrocités dont il n'a pas souvenir. Heureusement, Carole Bouquet est prête à le soutenir dans cette période difficile.
Brillante idée du scénario : tous les acteurs interprètent leur propre rôle. En 1994, c'était totalement original - Robin Williams avait envisagé un temps de faire un remake du film, si j'ai bonne mémoire. Jacques Audiard, Josiane Balasko et Bertrand Blier sont d'ailleurs venus prêter mains fortes à Michel Blanc pour l'écriture de cette histoire déjantée, dans laquelle le comédien joue avec sa personnalité, ses complexes et son inquiétude... sans jamais faire du sous-Woody Allen. Les situations sont très drôles et les répliques font mouche. On est emporté par cette succession d'infortunes qui s'abattent sur le pauvre Michel avant que leur mystérieuse origine soit dévoilée. Comme Tenue de soirée, le film bascule alors dans une autre ambiance, un autre rythme. On frôle le fantastique.
Là encore, le rire s'étouffe parfois dans un grincement de dents. Michel Blanc questionne l'identité de ses personnages, notamment des stars, qui se retrouvent privées d'intimité. Leurs faits et gestes sont épiés et commentés tout au long du film par les "vrais gens". Lesquels ne se privent pas de les aborder avec familiarité, de les applaudir, de les toucher... Evidemment, même dans les moments les moins opportuns. Ce décalage donne d'ailleurs lieu à de nombreuses scènes très marrantes. Tout au long du film, Blanc semble nous crier : "Merci pour votre soutien mais laissez-moi vivre tranquillement". Dans un bon bonus, l'artiste revient d'ailleurs sur la genèse du film et son rapport à la popularité, avec tout ce qu'elle implique.
Michel Blanc l'acteur s'est bien entouré : Carole Bouquet est formidable. Elle casse son image de beauté froide avec beaucoup d'humour et d'auto-dérision, avec quelques clins d'oeil à Trop belle pour toi et Rien que pour vos yeux. Le film regorge de caméos, notamment Philippe Noiret, Charlotte Gainsbourg, Mathilda May, Gilles Jacob, Roman Polanski... Et puis surtout, toute l'équipe du Splendid est réunie le temps d'une scène. Un événement à l'époque puisque Les Bronzés 3 n'avait pas encore brisé le charme des retrouvailles. A noter la participation de Dominique Besnehard et Bernard Farcy, également au générique de Tenue de soirée. Michel Blanc le réalisateur filme son cauchemar avec beaucoup de rythme et confirme tout son talent derrière la caméra.
Tenue de soirée (dont le Blu-ray est déjà disponible) et Grosse fatigue (dont le Blu-ray sera commercialisé le 26 février) tiennent la route. Ils parviennent à nous faire rire tout en nous interpellant avec intelligence et style sur des questions pertinentes et ô combien sensibles. Tellement sensibles que nous peinons à en débattre aujourd'hui. Et c'est là que réside aussi la grande réussite de ces deux films : leur liberté.
Anderton
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