jeudi 27 juin 2019

Sang froid : un polar grinçant à réévaluer

En DVD et Blu-ray : Au pic de la canicule, StudioCanal nous invite faire preuve de Sang froid. Le film de Hans Petter Moland, qui sort aujourd'hui en vidéo, avait été plombé lors de sa sortie en salle par une polémique provoquée par sa star, Liam Neeson. Et si on le revoyait à froid ?



Nelson Coxman (Darman en VF car le nom du protagoniste, qui évoque les cocks, suscite des blagues graveleuses au fil du récit) est un brave type qui parle peu mais déneige beaucoup. A bord de son maxi engin, il rend praticables les routes qui conduisent à la station de ski de Kehoe, où il mène une existence pépère avec sa femme et son grand fils, Kyle. Aussi, quand ce dernier est retrouvé mort d'une overdose, c'est d'abord la stupéfaction puis l'incrédulité. Nelson ne peut imaginer que son fils était un drogué alors que la police a déjà clos le dossier. Coxman découvre cependant que Kyle a été tué par des dealers qui le soupçonnaient de détourner des livraisons de drogue. Abandonné par son épouse, rongé par la rage, Nelson décide de se faire justice lui-même. Et pas à coups de boules de neige.


Avant même la polémique (lire l'encadré ci-dessous), les premières images de Sang froid donnaient l'impression que Liam Neeson rempilait pour un énième Revenge movie (Liam Neeson is the new Charles Bronson). Après l'avion et le train, place au chasse-neige ! Comme beaucoup d'autres spectateurs, je m'attendais donc à un film bourrin. Et il faut dire que le début du film de Hans Petter Moland semble partir sur cette voie. Neeson se venge à coups de poings et il cogne fort. Le sang gicle et les dents sautent - on les entend même rebondir parfois sur le sol.

Humour noir et rouge sang

Mais dès les premiers plans, on est emporté par la beauté des images et la fluidité de la mise en scène. Puis le récit nous confronte à une galerie d'autres personnages marquants, qui font même un temps passer Nelson au second plan. Et, alors que la violence se déchaîne, rythmée par un intrigant bodycount qui égrène les nom et surnom de chaque victime, on se surprend à lâcher d'abord un petit rire puis à se marrer franchement devant certaines situations. Voilà qu'on s'est fait surprendre. Comme dans une tempête de neige. Le Revenge porn attendu s'avère être un thriller grinçant et jubilatoire.

Rodé dans le rôle de l'homme brisé et enragé auquel il sait insuffler une humanité inquiète, Neeson n'accapare pas l'écran. Il le partage avec des acteurs qui jouent à fond leurs rôles de sparring partners typés : Laura Dern passe rapidement en épouse d'abord aimante puis révoltée tandis que Tom Bateman campe avec une exagération jubilatoire "Viking", un yuppie psychopathe à la tête d'un gang de Wasp en costumes cintrés. Face à lui, White Bull, un mafieux amérindien (Tom Jackson), d'un calme inquiétant mais tout aussi implacable que son homologue blanc. Parmi les bad guys, on retrouve avec plaisir Domenick Lombardozzi (The Wire), Raoul Trujillo (Apocalypto, Sicario) et William Forsythe (Il était une fois en Amérique, Arizona Junior). John Doman (Borgia) interprète un flic local qui ne veut pas faire d'histoires tandis que sa fougueuse collègue est jouée par la rafraîchissante Emmy Rossum (Shameless, Le Jour d'après) - des retrouvailles pour le duo qui était au générique de Mystic River. Enfin, Julia Jones (Twilight) incarne l'ex de Viking, qui ne se laisse pas impressionner par l'attitude menaçante de son ancien mari.

Polar glaçant, western moderne, Sang froid s'avère être un thriller original qui, mine de rien, nous rappelle à quel point l'Amérique continue de maltraiter son peuple natif. Sans pour autant mettre sur un piédestal les Amérindiens en question. H. P. Moland a trouvé le ton juste, grinçant et incorrect, tout en soignant l'esthétique du film. L'édition de StudioCanal propose en bonus des scènes coupées ainsi qu'un making of et des entretiens avec la star et le cinéaste, ce dernier s'expliquant sur son choix de signer le remake de son propre film, Refroidis, sorti en 2014, avec Stellan Skarsgard et Bruno Ganz. Grand prix au Festival du film policier de Beaune. Je ne l'ai pas vu donc je ne me lancerai pas dans les comparaisons, même si la bande-annonce indique que certains plans ont été reproduits quasiment à l'identique. Reste que Sang froid m'a beaucoup plu.


Liam fêlé
Evidemment, ce n'est pas simple d'oublier le dérapage de Liam Neeson qui, pour illustrer le poison que peut provoquer le désir de vengeance, avait évoqué lors d'un press junket son envie de "tuer un salopard noir" au hasard, il y a 40 ans de cela, après le viol de sa meilleure amie par un Noir. Des propos choquants qui avaient amené l'acteur à s'expliquer sur ABC au milieu de réactions de colère tandis que certains de ses amis prenaient sa défense. Comme le résume bien Robin Roberts, la journaliste de Good Morning America qui a interviewé Neeson, le public a été profondément divisé par cette sortie. La réaction primaire et raciste du jeune Neeson est injustifiable ; ses aveux et la reconnaissance de sa connerie quatre décennies plus tard sont d'une sincérité déconcertante, voire suicidaire, mais ne permettent pas de lever complètement le doute que ses premiers propos ont semé dans l'opinion. Désormais, à chaque fois qu'on (re)verra l'acteur à l'écran, on ne pourra s'empêcher de penser à cette folie raciste qui l'a aveuglé pendant plusieurs jours, ni de se demander si elle a rejailli plus tard. Et pourrait rejaillir à l'avenir. D'ailleurs, dans Sang froid, Neeson partage deux scènes tendues avec un acteur noir et on se demande forcément ce qui lui passe par la tête...

Anderton

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