samedi 1 juin 2019

Sorry to bother you : détonnant et inclassable

En DVD et Blu-ray : A l'image de sa carrière musicale, marquée par une fusion des genres (cf cette vidéo de son groupe The Coup), Boots Riley nous propose avec Sorry to bother you un premier film foisonnant et inclassable, dont Guillermo del Toro a fait l'apologie sur Twitter. L'oeuvre est désormais disponible en vidéo et elle mérite d'être (re)découverte.



Cassius Green a beau être surnommé Cash, il vit dans le garage de son oncle et manque cruellement d'oseille. Lorsqu'il trouve un job dans une boîte de télémarketing, il se découvre un don de vendeur qui pourrait le faire passer du sous-sol de l'entreprise aux étages supérieurs, avec la crème de la crème. Mais cela implique de lâcher ses collègues qui se battent pour un meilleur salaire.


Comme souvent, j'avais décidé de ne rien lire ou voir en amont du film, à part quelques images glanées ici ou là et ce tweet de GDT donc.



Je m'attendais donc à une comédie grinçante à la mise en scène léchée. Il y a de cela dans le film et bien plus ! Progressivement, le récit nous embarque dans une autre réalité avant de tomber dans la science-fiction. Et encore. Car Boots Riley parvient à décrire à la fois la dérive des réseaux sociaux, le quotidien de millions de travailleurs précaires et l'essor des start-up et Gafa(n) qui prospèrent en foulant un certain nombre d'acquis sociaux. Parmi ces exploités, il montre le sort réservé aux noirs américains, obligés de mettre en sourdine leur culture ou de la voir confisquée et détournée, de devenir des caricatures d'eux-mêmes (un noir sait forcément rapper) ou de prendre une voix de blanc pour s'en sortir. Il porte d'ailleurs un regard cru mais jamais misérabiliste sur "Oaktown", Oakland,  la ville restée aux portes de la Silicon Valley, où réside une importante communauté afro-américaine et où on éclot des groupes barrés comme Digital Underground dont le Doowutchyalike reste un des party anthems les plus délirants. Puis Riley pousse la logique de la nouvelle économie à son comble, en révélant le vrai visage de ces jeunes entrepreneurs d'apparence cool mais prêts à tout pour faire du fric.

Oaktown in the place

Et ce tableau sans concessions, le cinéaste le brosse sans tomber dans "l'hénaurmité". Quand il force le trait, il le fait avec tellement d'originalité et de style qu'on est conquis. Sorry to bother you est porté par une vision unique et bourré de trouvailles visuelles, avec une bande-son au top. Il bénéficie également d'un cast aux profils divers et qui, contre toute attente, fonctionnent parfaitement ensemble : Lakeith Stanfield (vu dans Get Out et bientôt à l'affiche du prochain film des frères Safdie) et Tessa Thompson (Thor Ragnarok, le nouveau Men in Black) forment un couple rafraîchissant mais qui se déchire quant à l'attitude à adopter face au système ; Steven Yeun (The Walking Dead, Burning) incarne un travailleur qui ne se laisse pas faire ; Armie Hammer est exceptionnel en jeune loup de la Silicon Valley ; Danny Glover et Terry Crews tiennent deux petits rôles marquants tandis que David Cross, Patton Oswalt et Forest Whitaker prêtent leurs voix à quelques personnages.

Voilà donc un Ocni (Objet cinématographique non identifié), passé par le Festival de Sundance, qui détonne et étonne, ne laissant pas son public indifférent. Comme le précise Boots Riley dans le supplément qui accompagne cette édition d'Universal Pictures, il voulait montrer qu'un cinéaste afro-américain pouvait faire un film qui sorte des sentiers battus. Pari réussi. Avec la manière.

Anderton

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