mercredi 19 juin 2019

Fellini Satyricon : décadence pop et choc

En DVD et Blu-ray : Chante, déesse, la joie d'Anderton... Paraphrasant Homère (l'aède aveugle, pas le lourdaud jaune), je veux vous faire part de ma félicité. Potemkine Films a sorti une magnifique édition Blu-ray du Satyricon de Federico Fellini. En version restaurée, prego. Et, comme lors de sa découverte, il y a de longues années de cela, le choc est intact.



Car évidemment, Il Maestro ne se contente pas d'adapter l'oeuvre de Pétrone. Il se l'approprie et la réinvente avec exagération. Excès, même. Il s'agit après tout d'un film sur la décadence. Fellini nous entraîne dans la chute de l'empire romain. Les murs et les moeurs se fissurent puis s'écroulent au gré des pérégrinations d'Encolpe et d'Ascylte. Les deux jeunes hommes se disputent les faveurs d'un giton (Giton, c'est son nom), festoient, font la guerre, baisent, se font kidnapper avant de kidnapper  à leur tour un oracle hermaphrodite... Entre autres.

Dans les décors monumentaux de Cinecitta ou au sein de paysages arides, Fellini nous plonge au coeur d'une Antiquité sauvage, qui n'a rien à voir avec celle, toute lisse, des péplums hollywoodiens. Il nous transporte sur une autre planète, peuplée de figures peinturlurées aux regards fous, qui se livrent à des pratiques étranges ou scandaleuses... selon nos critères actuels. Sang, tripes et nibards gigantesques. Le cinéaste a su une fois de plus choisir des comédiens et figurants aux gueules incroyables. Même Magali Noël, Alain Cuny ou Capucine semblent être leurs propres caricatures tandis que Martin Potter et Hiram Keller incarnent un duo plein de malice et de vice. 


Les couleurs nous explosent au visage dans un délire pop très sixties - Satyricon est sorti en 1969. Le doublage, pratique courante du cinéma italien, semble parfois en complet décalage avec les lèvres des comédiens, ajoutant à l'étrangeté du film. Jusqu'à la musique de Nino Rota, "a-mélodique", ponctuée de percussions et mélopées indigènes, tout dans Satyricon détonne et perturbe. C'est sûr que les amateurs de Ben Hur risquent de se retrouver largués ; mais ceux qui sauront faire face à leurs vives émotions apprécieront une oeuvre hors norme, traversée par des visions hallucinantes et une mise en scène d'une inventivité folle - ces travellings latéraux d'où jaillissent des zooms ! Satyricon est un film fou.


Le Blu-ray de Potemkine Films en est un magnifique écrin. Au-delà de la sublime version restaurée, l'éditeur propose trois bonus édifiants. Dans une interview, le critique Italo Moscato voit dans Satyricon une danse un peu folle de Fellini. Cette fois-ci, c'est à Gainsbarre que j'en appelle : Fellini danse la décadence. 69, année érotique ! Dominique Delouche, ex-assistant du Maître, dresse le portrait de son mentor... et révèle qu'il était fan du dessinateur Dubout ! Et en effet, dans ce film comme dans d'autres, on peut sentir l'influence de l'artiste français à travers ces galeries de personnages impayables réunis dans une assemblée bordélique, où les pifs des petits messieurs à moustache se coincent dans les décolletés des dames généreuses. Enfin, un troisième supplément, tourné par Delouche, nous montre Fellini au travail. Intitulé Teatro Numero Cinque, ce making of de Satyricon nous confronte à un ogre parfois mielleux, souvent autoritaire, qui tente d'organiser le chaos sur un plateau envahi de figurants et de techniciens. Ne passez pas à côté de ce plaisir orgiaque.

Anderton

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