lundi 15 décembre 2025

Coppola romantique : Coup de coeur et Outsiders

Francis Ford Coppola Coup de coeur Outsiders 4K UHD Blu-ray CINEBLOGYWOOD

Six films de Francis Ford Coppola sont disponibles en vidéo chez Pathé dans leurs versions restaurées 4K, accompagnés par une foultitude de suppléments. L'occasion de (re)découvrir des oeuvres fortes et originales, de faire ressortir des thématiques, d'établir des passerelles. Coup de projecteur sur deux longs-métrages, radicalement différents, tant dans le fond que dans la forme, et qui pourtant sont portés par un souffle romantique : Coup de coeur (One from the heart, 1982) et Outsiders (The Outsiders, 1983).

Les années 1970 sont pour Francis Ford Coppola une décade prodigieuse. Il a enchaîné Le Parrain, Conversation secrète, Le Parrain, 2e partie et Apocalypse Now, récoltant Palmes d'or et Oscars, devenant un des cinéastes les plus importants de son époque, à la fois encensé par la critique et plébiscité par le public. Il aborde les années 1980 avec ambition. Bien décidé à s'affranchir des majors hollywoodiennes qui brident sa créativité, il acquiert un immense site à l'abandon à Los Angeles où il installe Zoetrope Studios. Il veut retrouver le fonctionnement de Hollywood de la grande époque, lorsque la MGM, Paramount ou Warner salariaient des talents, acteurs, réalisateurs, techniciens, qui venaient alors travailler chaque jour sur différents projets.

Le rêve brisé du nouveau mogul

Illustration avec Coup de coeur, conçu comme une comédie musicale des années 1950 mais bénéficiant des dernières innovations technologiques, notamment le retour vidéo, qui permet de visionner tout de suite sur le plateau la scène tournée. A l'origine, en réaction au tournage éprouvant d'Apocalypse Now, Coppola voulait même tourner un film comme une pièce de théâtre, entièrement en studio. S'affranchissant des contraintes qu'il s'est lui-même imposé, le cinéaste, accompagné de ses fidèles collaborateurs Vittorio Storaro à la photo et Dean Tavoularis à la direction artistique, recrée Las Vegas entre quatre murs. Néons, décors astucieux, usage de la perspective forcée, fresques peintes, maquettes... Coppola utilise tous les "trucs" de cinéma à sa disposition et adopte une mise en scène d'une inventivité folle. Sa caméra tournoie, s'envole, traverse les murs quand ceux-ci ne disparaissent pas tout simplement pour rapprocher les protagonistes qui baignent dans des couleurs vives. Au fur et à mesure que le film avance, le cinéaste semble même vouloir mettre en valeur tout cet univers factice (aujourd'hui, on parlerait de discours meta) : on repère les murs peints en noir, on voit même parfois un câble et un ventilateur qui n'ont rien à faire là - je ne peux pas croire que Coppola ne s'en soit pas aperçu. 

Le résultat est somptueux ! On est emporté par le rythme, les images, les chansons interprétées par Tom Waits et Crystal Gayle, les chorégraphies de Kenny Ortega et Gene Kelly, les interprétations de Frederic Forrest, Teri Garr, Raul Julia, Nastassja Kinski, Lainie Kazan et Harry Dean Stanton. Et pourtant, à sa sortie, le film est un four terrible. Dans un des nombreux suppléments, on découvre comment le rêve de Zoetrope vire au cauchemar alors que le public est désarçonné par cette comédie musicale en avance sur son temps. Plus de 40 ans sont passés et l'héritage de Coup de coeur saute aux yeux, de La La Land à Blade Runner 2049.

Au fait, l'histoire. Hank et Franny s'aiment follement mais malgré leurs promesses l'un pour l'autre, leur couple s'use et vole en éclat, le jour de la fête nationale. Chacun de son côté passe alors la nuit à faire des rencontres sans cesser de penser à l'autre. Simpliste ? Tout le contraire ! Le film est un condensé d'émotions qui disent la complexité et la simplicité de l'amour. Avec beaucoup de sensualité et de sincérité, Coppola nous fait partager la crise d'un couple haut et en couleurs - littéralement. Je le répète : somptueux.

Back to basics

La suite de la carrière de Coppola sera marquée par la nécessité d'éponger les dettes colossales générées par Coup de coeur. Et après avoir vu trop grand, le cinéaste a envie de retrouver un cinéma plus simple. C'est alors qu'il reçoit une lettre adressée par une enseignante et ses élèves, lui demandant d'adapter le roman The Outsiders. Le cinéaste ne connaît pas ce livre écrit par S. E. Hinton, une jeune femme de 19 ans et devenu très populaire chez les adolescents. Il décrit l'affrontement dans la ville de Tulsa de deux bandes de teenagers : les Socs, qui réunit les fils de bonne famille, et les Greasers, issus des quartiers pauvres. Lors d'une bagarre, un ado meurt. Poniboy, le narrateur, s'enfuit avec son meilleur ami, Johnny Cade.  

Lorsque j'avais vu Outsiders lors de sa sortie en salle, j'étais moi-même ado. Tout en ayant apprécié le film, je l'avais toutefois trouvé un peu mièvre. Jugement révisé ! Il faut dire que Coppola a - comme souvent - revu le montage et modifié l'accompagnement musical, comme il l'explique en intro du film (les deux montages sont proposés dans l'édition vidéo). Il a supprimé certains morceaux composés par son père Carmine Coppola pour les remplacer par des versions moins exaltées et des chansons rock. Et ça change tout ! Outsiders s'inscrit davantage dans son époque (les sixties) sans perdre l'approche résolument romantique que tenait à lui donner le cinéaste, inspiré autant par La Fureur de vivre que par Autant en emporte le vent. Il a également rajouté des scènes coupées dans le montage original, car jugées trop homoérotiques par les producteurs !

Ce tournage resserré - qui sera suivi par celui de Rusty James (Rumble Fish), adapté également d'un roman de S. E. Hinton - n'empêche pas le cinéaste de proposer une mise en scène fluide, qui se joue des contraintes financières. Là encore, l'histoire frappe par sa simplicité et la sincérité des émotions qu'elle dégage. On colle au plus près des sentiments qui animent une bande d'adolescents. La force de l'amitié compense des liens familiaux, soit inexistants, soit dysfonctionnels. Coppola écarte tout cynisme et nous touche au coeur, tout comme la belle ballade interprétée par Stevie Wonder. 

Il faut dire que les personnages sont magnifiquement interprétés par un groupe de jeunes comédiens qui deviendront des stars : Matt Dillon, C. Thomas Howell, Ralph Macchio, Patrick Swayze, Rob Lowe (dont le rôle est considérablement étoffé dans le nouveau montage), Emilio Estevez, Tom Cruise et Diane Lane ! Dans un bonus, on découvre tous les autres acteurs approchés ou ayant passé des tests. Egalement au générique : Tom Waits, William Smith... et Sofia Coppola - alors que Francis avait fait jouer ses parents dans Coup de coeur. A family business.

Les éditions vidéo permettent de revoir ces deux beaux films dans de magnifiques versions. Chacune comprend un disque de suppléments permettant de découvrir la méthode Coppola (notamment son approche avec les comédiens), et de se plonger dans les productions des oeuvres et d'en découvrir l'impact, au-delà même de leur réception en salle. Je n'ai d'ailleurs pas pu m'empêcher de penser aux passerelles entre Coup de coeur et New York New York (Martin Scorsese), entre Outsiders et American Graffiti (George Lucas), Mean Streets (Martin Scorsese) ou le West Side Story de Steven Spielberg. On retrouve chez cette bande d'amis la même vénération pour la grande époque d'Hollywood, le même regard doux-amer sur leur jeunesse dans les années 1960. Quel cinéma !

 Anderton


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