Troisième et dernière chronique sur les versions restaurées 4K des six films de Francis Ford Coppola que Pathé propose dans des éditions vidéo riches en bonus. Intéressons-nous à Apocalypse Now (1979) et Tucker (1988) qui brossent en creux le portrait de leur auteur.
Dans un des suppléments de l'édition de Tucker, le cinéaste explique que pour chacun de ses longs-métrages, il aime creuser une thématique : la folie pour Apocalypse Now, l'inventivité pour Tucker. La co-Palme d'or du Festival de Cannes 1979 (avec Le Tambour de Volker Schlöndorff) n'est pas seulement un film sur la folie, c'est un film dément, démesuré. La restauration 4K UHD remet en valeur le travail du directeur de la photo Vittorio Storaro et du directeur artistique Dean Tavoularis. Même sur un écran forcément plus petit que celui d'une salle de cinéma, on en prend plein la vue. Coppola nous embarque dans un trip hallucinant, quasi hallucinogène, dans le sillage de l'équipage emmené par le capitaine Willard. L'absurdité de la guerre n'a jamais été aussi bien représentée à l'écran.
C'est la version Final Cut de 182 minutes qui est proposée, "la plus équilibrée", comme l'explique l'ami Travis Brickle. Elle est accompagnée de nombreux bonus, notamment le documentaire Hearts of Darkness (1991), de Fax Bahr et George Hickenlooper, qui relate le tournage lui aussi dément du film, à partir des images tournées par Eleanor Coppola et sa petite équipe. On y voit son mari se battre contre le déchaînement des éléments (un typhon), les financiers et les médisants à Hollywood et ses acteurs : Harvey Keitel ne fait pas l'affaire et est viré après quelques jours de tournage, Martin Sheen qui le remplace est victime d'une crise cardiaque, Dennis Hopper est gavé de drogue, Marlon Brando arrive en surpoids et mal préparé... Coppola se débat, retravaille sans cesse son scénario, expose ses doutes, menace de se flinguer. A l'instar de la magnifique affiche réalisée par Laurent Durieux, le documentaire le fait apparaître tantôt comme le capitaine Willard, tantôt comme le colonel Kurtz - dans le commentaire audio réalisé en 2007, il indique d'emblée vouloir tordre le coup à cette représentation.
Reste qu'il est difficile de ne pas voir dans le cinéaste l'alter ego de Willard - comme lui, il s'engage dans une odyssée (celle du tournage) qui s'avère bientôt dantesque - avant de devenir celui de Kurtz : tous deux règnent sur une communauté à la fois obéissante et anarchique, au fin fond d'une jungle qui étouffe leurs rêves et les entraîne aux portes de la folie.
Coppola-Tucker, même combat !
On retrouve aussi la personnalité de Coppola sous les traits de Preston Tucker, interprété par Jeff Bridges dans le film éponyme. Après la deuxième guerre mondiale, ce génial inventeur a imaginé concurrencer les Big Three de Detroit (General Motors, Ford et Chrysler) en lançant une voiture révolutionnaire.
Dans un des suppléments, le cinéaste explique que son père Carmine, qui a composé la B.O. de certains de ses films, dont en partie celle de Tucker avec le chanteur Joe Jackson, avait fait partie des Américains qui avaient envoyé un chèque à Tucker pour précommander son véhicule doté entre autres d'un moteur 6 cylindres placé à l'arrière, d'une transmission semi-automatique, de ceintures de sécurité, d'un pare-brise éjectable. Mais l'entreprise a fait faillite avant de pouvoir commercialiser son modèle. Un génial inventeur qui développe ses projets au sein d'une grande maison où vit sa famille fantasque, un visionnaire qui part en guerre contre les majors et crée sa propre usine, un businessman plein de bagout mais un piètre comptable qui voit son rêve s'écrouler et devoir repartir de zéro... Coppola-Tucker, même combat !
Une fois de plus, la mise en scène du cinéaste est d'une inventivité folle. Rien de gratuit, Coppola explique dans un bonus avoir voulu représenter l'inventivité, le dynamisme, l'optimisme de Tucker. Coproduit par George Lucas, l'ami de toujours, le film part sur les chapeaux de roue, emmené par un casting 7 cylindres : Jeff Bridges, Martin Landau, Joan Allen, Frederic Forrest, Mako, Elias Koteas et Christian Slater. Jeff Bridges a même l'opportunité de jouer face à son père, Lloyd Bridges.
Le film a fait une sortie de route au box office. Il faut réparer cette injustice en le revoyant grâce à cette magnifique édition. A ceux qui le peuvent, je recommande d'ailleurs l'acquisition des six éditions 4K UHD + Blu-ray : outre de formidables films, vous y découvrirez grâce aux bonus un artiste visionnaire, intègre jusqu'à l'excès, moins mégalomaniaque que sa légende.
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Anderton

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