vendredi 15 juillet 2011

Deep End : dans le tumulte des eaux printanières


En salles : C’est un film vraiment singulier qui nous revient là, de loin, très loin, tel un diamant longtemps enfoui sous la neige… Pour découvrir l’œuvre de son réalisateur Jerzy Skolimovski, plongez à la découverte de ce bijou qu’est Deep End qui ressort grâce à Carlotta ces jours-ci dans une copie canon. Un film qui se laisse appréhender peu à peu, dont la puissance visuelle marque la rétine. Durablement.


Ne vous fiez pas à l’intrigue. Racontée comme ça - les aventures sentimentales d’un ado, employé en CDD dans un établissement de bains, dans le swingin’ London - on pourrait penser immédiatement à A nous les petites Anglaises ! Ou bien à une version UK d’Antoine Doisnel. Oubliez tout ça. Car c’est d’abord un film signé Skolimovski.

La piscine comme espace mental

1 - Sens de l’espace et qualité picturale font du lieu principal – une piscine aux allures de bassin Molitor décrépit - un véritable espace mental, celui d’un ado de 15 ans, sur le point de basculer dans l’âge adulte, en proie aux affres du désir et de la mort. Les murs rouges, verts, le cirée jaune, la neige sale et maculée, autant de taches visuelles qui témoignent d’une lutte constante entre la frustration adolescente et les murs du réel. Et qui témoignent d’une force visuelle peu commune.

2 - Paradoxe : l’intégralité du film a été tournée à… Munich ! D’où cette impression tenace de voir Londres filmée comme une capitale d’Europe centrale des 70’s, terne, brumeuse, délabrée. Grâce à l’exceptionnel travail du décorateur Tony Pratt, cette piscine, filmée comme un refuge où se confrontent eros et thanatos rejoint les grands espaces claustrophobiques du cinéaste : les steppes enneigées de Essential Killing, ou la demeure en cours de restauration de Travail au noir, ou le bateau-phare éponyme du film du cinéaste polonais.

Poème sur l’adolescence, jaillissements de couleurs et de musiques

3 – Gros plans sur des visages d’adultes sarcastiques, jeune fille sexy, ado pris dans les affres de son âge : le film porte en lui la trace ironique et charmante, grotesque et désenchantée, claustrophobique et kafkaienne des oeuvres de ses confrères d’Europe de l’Est, Roman Polanski ou Milos Forman. Mais qui constitue la patte de Skolimovski, qu’on redécouvre enfin en France depuis quelques mois. Après l’intégrale dont il a été l’objet au Festival de Paris et la présentation triomphale d’Essential Killing à la dernière Mostra de Venise, espérons que quelques distributeurs atront l’audace de diffuser Le Bateau-phare, Le Cri du sorcier, Travail au noir, Les Eaux printanières ou bien Le Succès à tout prix, invisibles depuis trop longtemps, et qui rassemblent pêle-mêle Alan Bates, Robert Duvall, Jeremy Irons ou Michael York.

4 – Au-delà de la maîtrise dont il fait preuve, la film n’apparaît jamais maîtrisé, ou conscient de son discours. Non, il ressemble plutôt à un vaste poème parsemé de violentes saccades de couleurs, d’émotions et de musique (Cat Stevens et Can, svp !). Une forme unique, qui en fait un film singulier, tenace et surprenant. Et dont la fraîcheur tient en grande partie au casting idéal : John Moulder-Brown, dans le rôle de l’ado, mi-Jean-Pierre Léaud, mi Benjamin Biolay, toujours en mouvement, et dont les échappées à vélo évoquent celles de Jérémie Rénier à mobylette dans cet autre chef-d’œuvre sur l’adolescence qu’est La Promesse ; et la splendide rousse Jane Asher, alors girlfriend de Paul Mc Cartney, dans le rôle capital de l’initiatrice aux jeux de l’amour et de désir - tous deux dans les rôles de leur vie.

Travis Bickle

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