jeudi 19 octobre 2023

War Pony : trajectoires de vie sans réserve

War Pony DVD CINEBLOGYWOOD

Alors que Killers of the Flower Moon fait l'événement au cinéma, un excellent film désormais disponible en vidéo chez Blaq Out met également en lumière la triste condition des premières nations aux Etats-Unis. War Pony, réalisé par Gina Gammell et Riley Keough, suit le parcours de deux jeunes originaires de la tribu lakota. Entre débrouille, misère et rêves inachevés. Beau et fort.


Le film s'ouvre sur un vieil Amérindien - terme impropre, comme celui d'Indien, les premiers concernés utilisant ceux d'autochtone ou d'aborigène - qui semble communier avec la nature. Puis le duo de réalisatrices nous plonge au coeur de la réserve de Pine Ridge, dans le Dakota du Sud. Sur fond de hip hop, défilent des images de bicoques et jardins peu entretenus. Sur la route centrale, également en sale état, les voitures d'occasion croisent des kids à vélo ou des jeunes à cheval. Un ghetto posé au milieu d'immenses prairies. 

La vingtaine, look de B Boy, Bill se débrouille pour vivre, entre petits boulots et fumette avec ses potes. Il est père mais ne vit pas avec la mère de son fils, qu'il trimballe au gré de ses pérégrinations, le confiant (s'en débarrassant) souvent à sa grand-mère. Lorsqu'il tombe sur un beau caniche, dont on comprend aisément qu'il a été volé hors de la réserve, il a une révélation : il va monter un élevage et engranger de l'argent. Sur son chemin, il croise une bande d'ados hilares. Parmi eux, Matho, douze ans, qui vit avec un père violent et dealeur. Avec ses potes, le gamin fume, picole et revend de la came piquée au paternel. Deux destins que nous allons suivre tout au long du film.

War Pony a tout du film indie américain. Dans son approche sociale, où un univers est abordé à travers l'intimité de personnages. Dans son style aussi. La mise en scène associe mouvements de caméra fluides et plans plus contemplatifs. Le songe vient d'ailleurs parfois bousculer la réalité, visions fugaces d'un temps révolu, illustrant l'aliénation d'une communauté en pertes de repères. Si les anciens tentent de maintenir des liens avec la culture lakota, la jeunesse en est déconnectée, mises à part quelques cérémonies éparses.

Gammell et Keough révèlent comment la communauté survit en marge de la société américaine. Les rapports avec les blancs sont rares et prolongent une oppression solidement ancrée. Préjugés et racisme ne tardent pas à rejaillir. Quant au quotidien des Lakotas, il est marqué par la pauvreté endémique, la violence, la débrouille. C'est fascinant de voir les uns et les autres se voler ouvertement, sans que cela suscite forcément un émoi chez les victimes. Comme si c'était la règle du jeu et que le matérialisme n'avait pas cours dans cette enclave. Le crime débouche même parfois sur une réaction de solidarité. Autant de comportements étrangers à nos sociétés de consommation.

En lien avec la réalité

La justesse du récit tient à ce que le film s'est monté en lien avec la communauté lakota. Les réalisatrices ont écrit le scénario avec des locaux, Bill Reddy et Franklin Sioux Bob. La grande majorité des comédiens est également issue des premières nations. Les débutants Jojo Bapteise Whiting et LaDainian Crazy Thunder, respectivement Bill et Matho à l'écran, apportent un naturel et une fraîcheur à leurs personnages, en même temps qu'un jeu subtil où transparaissent des émotions exprimées sur le fil. L'un incarne un jeune adulte qui reste un ado paumé ; l'autre, un gamin qui a dû grandir trop vite.

Présenté au Festival de Cannes 2022 dans la sélection Un Certain Regard, où il obtient la Caméra d'or, doublement primé au Festival de Deauville, War Pony nous touche par son réalisme cru, traversé par un souffle poétique, et les interprétations touchantes de ses comédiens.

Anderton


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