lundi 23 octobre 2023

Killers of the Flower Moon : 5 raisons de se précipiter au cinéma

Killers of the Flower Moon CINEBLOGYWOOD

Martin Scorsese ne faiblit pas. Le cinéaste continue de nous surprendre à chaque nouveau film. Killers of the Flower Moon en apporte un exemple éclatant. Voici au moins cinq raisons de se précipiter au cinéma pour le découvrir pendant qu'il est encore temps.


1) Une histoire américaine méconnue

Les Osages ont été contraints de quitter leurs terres dans l'Est des Etats-Unis pour s'installer dans les plaines arides de l'Oklahoma. La découverte d'importants gisements de pétrole les rend riches et attire de nombreux Blancs avides de profiter de cette manne inespérée. Une convoitise qui s'accompagne d'une série de morts violentes ou suspectes au sein de la tribu. Sheriff adjoint au sein de la réserve, William King Hale exploite la générosité des autochtones, avec la complicité d'Ernest Burkhart, son neveu revenu de la guerre de 14-18, et de son frère Byron.

Au début du XXe siècle, il existait donc un endroit aux USA où les "patrons" étaient aborigènes (termes qu'utilisent les membres des premières nations) et vivaient dans un luxe parfois ostentatoire. Leurs employés étaient blancs. Cette "anomalie" fait écho à une autre : à Tulsa, également en Oklahoma, prospère une bourgeoise afro-américaine. C'en est trop pour les habitants blancs de la ville : en 1921, ils organisent une émeute raciste qui vire au massacre de masse. Le film l'évoque brièvement (la série Lovecraft Country l'aborde frontalement). Pour autant, Scorsese ne cache rien du sort réservé aux Osages. Mêmes riches, ils ne peuvent toucher leur argent sans l'accord d'un banquier blanc car considérés comme irresponsables. Le respect des Blancs cache à peine un mépris, voire une haine dont les membres de la tribu sont conscients.

Comme nous avions été stupéfaits par une scène de Gangs of New York, où l'annonce de l'entrée en guerre du Nord contre le Sud débouche sur des lynchages de Noirs à New York, Killers of the Flower Moon nous surprend en nous faisant découvrir un temps où les membres du Ku Klux Klan peuvent parader fièrement en ville. Au point que même les Osages semblent leur faire confiance pour les aider à identifier les meurtriers qui s'en prennent à la tribu. 

2) Le règne de l'ambiguïté 

L'époque est troublée, les frontières entre le bien et le mal sont poreuses. Un notable peut exprimer son profond respect pour les Osages, leur culture et leur langue tout en s'attaquant à eux, un mari peut aimer sa femme tout en lui faisant du mal, le gouvernement américain qui a oeuvré à décimer les peuples premiers peut répondre à l'appel à l'aide d'une tribu menacée... Ce qui fascine et interpelle, c'est de voir les personnages se contredire en permanence. C'est particulièrement vrai pour Ernest dont les agissements pourraient passer pour irrationnels s'il n'avait l'appât du gain aussi chevillé au corps.

3) Des Affranchis au Far West [spoilers dans cette partie]

Comme dans tout film de Scorsese, il est aussi ici question d'une chute et d'une rédemption. Mais celle-ci s'avère incomplète tant le mal répandu a été trop fort et trop intense. Le "héros" voit détruite l'oeuvre de sa vie sans accéder à la grâce. Killers of the Flower Moon m'a souvent fait penser aux Affranchis : King Hale est finalement l'archétype du chef mafieux, côté face un notable prodigue et respecté de sa communauté, côté pile un criminel impitoyable. Ernest Burkhart est une sorte de Henry Hill, pris dans les tentacules de la pieuvre. Mais si le mafieux newyorkais donne un flingue ensanglanté à sa femme dans Goodfellas, c'est Burkhart qui reçoit d'un tueur un pistolet utilisé dans un meurtre. Dans une scène de tribunal, Ernest devra - comme Henry - trahir son ancien boss, en le nommant et en le désignant du doigt. Mais si Hill reçoit en échange la possibilité de refaire sa vie dans l'anonymat et l'ennui, Ernest finira en prison, tout comme Hale. Ils en sortiront tous les deux malgré leurs crimes. Tellement insupportable pour Scorsese qu'il racontera leur fin de vie dans le cadre d'un programme de radio, dont le traitement de l'affaire (avec voix d'acteurs et bruitages) est tout aussi insupportable au regard des événements relatés. On comprend que les Osages n'ont jamais obtenu justice.

4) Un casting brillant

Robert De Niro compose un "parrain" qui fait froid dans le dos : charmeur, manipulateur, avide. Totalement inhumain. Leonardo DiCaprio a forci ses traits et force ses expressions, qui virent parfois à la grimace. Mais son talent évite de faire sombrer Ernest dans une caricature risible. On s'émeut de sa naïveté, et souvent de sa bêtise ; on est désemparé face à ses agissements en totale contradiction avec l'amour sincère qu'il éprouve pour sa femme. Laquelle est interprétée par Lily Gladstone, bouleversante de justesse : jamais dupe, à la fois forte mais aveuglée par son amour pour Ernest. Jesse Plemons est impeccable en agent du FBI qui affirme progressivement son autorité. Egalement au casting, Brendan Fraser et John Lithgow offrent de solides performances. Il y a beaucoup d'autres seconds rôles tout aussi impeccables.

5) Au cinéma avant la plateforme

La sortie en salles de ce film Apple TV+ donne l'occasion de découvrir sur grand écran une oeuvre qui mérite ce large format. Les images de Rodrigo Prieto sont sublimes et ce récit bigger than life prend sa pleine dimension au cinéma. J'ai vu le film samedi soir dans une salle pleine : la communion était belle et le public, recueilli. Aura-t-on une autre possibilité de voir Killers of the Flower Moon dans d'aussi bonnes conditions ?...

Je n'ai pas parlé de la durée du film. Oui, Martin Scorsese aurait probablement pu condenser son propos ; pour autant, je n'ai pas vu les 206 minutes passer. Non, ce n'est peut-être pas le plus grand film du cinéaste mais j'en ai pris plein les yeux et le coeur. Qui peut encore nous proposer un tel spectacle et susciter autant d'émotions dans une salle obscure ? Ne manquez pas ce rendez-vous avec le cinéma dans tout ce qu'il a de plus beau et de plus fort.

Anderton


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