vendredi 24 novembre 2017

Livre-coffret Brian De Palma (3/3) : "De Palma, c'est un cinéma du jaillissement, du sexe et du sang"

A lire : Troisième et dernière partie de notre interview de Laurent Vachaud, scénariste, critique à Positif et co-auteur avec Samuel Blumenfeld du livre d’entretiens avec Brian de Palma que Carlotta réédite dans une version enrichie et comprenant six DVD.  Où il est question de nostalgie, de jaillissement et d'héritiers.

 

Cineblogywood : réédition récente de Carrie, nouveau montage pour L’Esprit de Caïn, publication de votre livre d’entretiens... comment expliquer l’engouement que suscite Brian De Palma en France ?
Laurent Vachaud :  J’ai l’impression que c’est la nostalgie des années 70 qui déclenche ce phénomène. William Friedkin est également revenu très à la mode. A l’époque où sort notre livre, Friedkin est considéré comme un has been : il sort Jade, The Sorcerer est totalement invisible, Cruising est très mal aimé, il était cantonné à French Connection et à L’Exorciste. Ce sont des critiques plus jeunes qui l’ont remis sur le devant de la scène. Et Friedkin ne demandait que ça, car il est beaucoup plus accessible que De Palma, beaucoup plus à l’aise avec la parole et le discours. Il fait beaucoup de master classes, ce que De Palma ne fait quasiment jamais : il n’est pas du tout à l’aise dans cet exercice. J’ai l’impression que tout ceci participe d’une nostalgie très vive à l’égard des cinéastes des années 70.
De Palma n’est pas un cinéaste oublié : Scarface est bien présent à l’esprit, Carlito’s way aussi, même si ça n’a pas été un succès lors de sa sortie ; le fait qu’il y ait eu plusieurs Mission Impossible y aussi a contribué. Mais il n’a plus la popularité qu’il avait dans les années 90. Ses quatre derniers films n’ont pas eu le même écho. Ils n’ont pas été tournés aux Etats-Unis.

Qu’est-ce qui le rend si présent à l’esprit des générations contemporaines ?
Pour les adolescents, De Palma c’est séduisant ; c’est un cinéma du jaillissement, du sexe et du sang – tout ce qu’on adore quand on est ado ! Il y a un côté pornographie, gore et violent. En tant qu’adolescent, j’avais envie de voir Carrie en salles uniquement parce qu’il était interdit aux moins de 18 ans. Chez De Palma, il y a toujours quelque chose qui fonctionne sur ce registre. Même dans ses films politiques comme Redacted, il évoque la manière dont les adolescents gèrent leurs pulsions de sexe et de mort qui les habitent. J’y ai toujours vu un cinéma adolescent, plus que chez Spielberg. Ses personnages principaux, même adultes, sont restés un peu adolescents. Tom Cruise dans Mission impossible a un côté adolescent : il fantasme sur la copine de son père, symboliquement joué par Jon Voight.

A-t-il des héritiers dans le cinéma contemporain ?
Des héritiers, je ne pense pas. Mais un cinéaste comme David Fincher n’est pas loin de ce que pouvait faire De Palma à une époque. De Palma exploitait davantage toute la grammaire cinématographique : ralentis, split screens, accélérés, adaptations de séries. Il y avait une exceptionnelle variété de styles ! The Game est un film qu’aurait pu faire De Palma. Fight Club, aussi, par son côté contestataire, anti-consumériste, un peu anarchiste, très proche de l’esprit des années 60, et qui s’achève par des tours qui explosent, un peu comme dans Hi Mom. Mais De Palma le faisait avec des couleurs pétantes, des lumières très contrastées. Chez Fincher, il y a un côté morbide et froid. Leur inspiration est commune, mais le traitement est très différent. Le Dahlia noir a d’abord été tenté d’être adapté par David Fincher. C’est d’ailleurs lui qui a choisi Josh Harnett et Scarlett Johansson. Idem pour Friedkin : ils se sont intéressés tous les deux à Cruising.
Les Incorruptibles, Carrie, Scarface ont influencé beaucoup de cinéastes. Quentin Tarantino, par exemple, a toujours adoré De Palma. Tarantino ne fonctionne absolument pas comme De Palma. Il est en circuit fermé. C’est ce qu’on reprochait à De Palma à ses débuts, alors qu’il y a une dimension véritablement autobiographique dans ses films. Il faudrait interviewer Tarantino, mais je ne sens pas cette dimension dans ses films : il construit ses films sur sa cinéphilie. A un moment, De Palma citait Hitchcock, mais il ne s’est pas laissé enfermer. On a toujours tendance à ramener de Palma à Hitchcock, mais les rapports de Hitchcock-De Palma se résument essentiellement à quatre films : Sœurs de sang, Pulsions, Body Double, Obsession. Blow Out, c’est plutôt Antonioni et Blow Up. Il a repris délibérément des mécanismes narratifs de Hitchcock dans ces quatre films, et c’est tout. Cela n’a pas beaucoup de sens de citer Hitchcock à chaque fois qu’il y a une scène de douche !
C’est pour cela qu’ensuite il a fait Scarface, Les Incorruptibles, Outrages ou L’Impasse. C’est d’ailleurs le problème de Hitchcock : il n’a pas fait de western, de comédie musicale, de films de guerre, il n’a fait que des films à la Hitchcock. Ce sont des mécaniques parfaites, mais il a toujours exploré le même genre. On voit bien qu’à la fin de sa carrière, il étouffait dans ce genre de films.
 
Quel est le rapport de Brian De Palma avec le cinéma contemporain ?
Il n’est plus très en phase avec le cinéma actuel. Friedkin non plus. On lui a pourtant proposé de faire des films de super-héros, comme Spider-Man. Mais ça ne l’intéresse pas. Le cinéma est axé sur les franchises ou les effets spéciaux. Je ne suis pas sûr qu’on ferait Le Parrain aujourd’hui au cinéma : ce serait une série de prestige pour HBO. Il termine actuellement un film d’action, Domino.

 
Quels sont les films de De Palma que vous préférez ?
Ca change souvent, mais ça se joue entre Blow Out, L’Impasse et Obsession. Ce sont les trois que je revois le plus souvent. J’aime beaucoup Pulsions pour sa forme, extrêmement travaillée ; j’ai plus de réserves sur son scénario, qui a un peu vieilli. J’avais beaucoup aimé Outrages au moment de sa sortie, c’était un de mes préférés ; en le revoyant récemment, je l’ai trouvé un peu trop appuyé, le jeu de Sean Penn excessif. Dans le livre, c’est d’ailleurs un des films sur lesquels on est le plus revenu par rapport à la précédente édition. Body Double comporte une première heure parfaite. De Palma est un cinéaste de la jubilation : on a toujours beaucoup de plaisir à voir et revoir ses films. Je lui trouve toujours une modernité dans sa manière de filmer. Je ne trouve pas qu’il ait vieilli, parce qu’il est très visuel.


A lire également :
Livre-coffret Brian De Palma (1/3) : "On a mis sept ans pour mettre en place ces entretiens"
Livre-coffret Brian De Palma (2/3) : "Par moments, c’était quasi de la psychanalyse !" 
 
Travis Bickle
 

Aucun commentaire: