mardi 24 septembre 2019

James Gray : Ad Astra, Kubrick, masculinité toxique et âme russe

Artistes : Début septembre, le lendemain de la projection d'Ad Astra à la Mostra de Venise, James Gray est venu présenter son film à Paris. L'occasion pour lui d'évoquer d'évoquer avec humour et profondeur sa démarche, l'ombre de Kubrick, le mythe du héros américain, la figure du père... Cineblogywood y était. Compte-rendu.



Schizo dans l'espace
A l'origine du scénario d'Ad Astra (lire notre critique), il y a la lecture en 2011 d'un article sur une possible mission humaine vers Mars en 2033 - un projet qui a depuis été repoussé à 2037, au moins. Le trajet de notre planète bleue à la planète rouge durerait un an et demi. Ce qui a fasciné James Gray, c'est que pour réunir un équipage capable de supporter le voyage dans un espace confiné, avec peu d'intimité, la Nasa pourrait choisir des recrues très peu émotives, voire même atteintes de troubles de la personnalité schizoïde. C'est-à-dire des personnes peu intéressées par les relations sociales. Et le cinéaste de souligner qu'Armstrong était d'ailleurs un ingénieur qui n'était "pas équipé" pour s'exprimer, notamment pour faire part de ses émotions ou de ses réflexions métaphysiques, contrairement à d'autres astronautes. Evoquant des études sur l'emprisonnement, le cinéaste a également lâché : "La solitude dans un espace confiné, c'est la pire punition pour un être humain".

Kubrick et 2001
"Avec 2001 L'Odyssée de l'espace, Stanley Kubrick a réalisé un film de science-fiction qui est devenu un film sur des faits de la science du future", a pointé James Gray, soulignant la "frustration" d'essayer de faire quelque chose que Kubrick n'ait pas fait. Dans la vidéo ci-dessous, Gray explique à quel point son aîné a su comprendre les ressorts du comportement humain. En revanche, il est moins convaincu par le mystère entourant le fameux monolithe.


La vie ailleurs et la fin du film
"Ce que j'ai essayé de faire, c'est de montrer que la Terre est tout ce qui nous reste. Si le gars revient [sans avoir rien découvert], ce n'est pas si terrible." Mais James Gray ne voulait pas pour autant que le public quitte la salle démoralisé. Le héros "traverse l'enfer et finit en enfer ?" Impossible pour Gray. D'où cette fin avec un héros "apaisé".

Costumes et gadgets
Tout en insistant sur le fait que 2001 est l'un de ses films préférés de tous les temps, James Gray émet toutefois une critique sur certains costumes du film, qui ont mal vieilli. Il précise avoir dit à Albert Wolsky, le responsable des costumes sur Ad Astra : "Albert, tu n'obtiendras aucune récompense pour ce film !" Même approche réaliste pour le matériel vu dans le film : "Les gadgets détournent l'attention du public et font très datés rapidement", a-t-il justifié.

Brad Pitt et la masculinité toxique
"Etre un vrai mec, c'est de la connerie et c'est toxique, a affirmé James Gray. Tu ne peux pas être plus 'mâle américain' que Brad Pitt. Il incarne un archétype que j'ai pu faire voler en éclat."  

La récurrence de la figure paternelle
"Ton père ou ta mère est la première personne que tu rencontres dans ta vie", a pointé James Gray pour expliquer pourquoi son oeuvre était traversée par la relation au père. "Ce que nos parents nous apprennent ou pas est essentiel", a-t-il ajouté, précisant qu'il avait essayé de réinterpréter L'Odyssée du point de vue de Télémaque, le fils d'Ulysse.

Idées brillantes et poubelles
"J'aime la façon dont tu parles", a déclaré malicieusement James Gray à un spectateur qui a qualifié Ad Astra de chef-d'oeuvre. A un autre qui a partagé ses théories sur l'histoire, il a dit : "Ce que j'aime, c'est quand les gens évoquent des idées bien meilleures que les miennes. J'ai essayé de raconter un mythe très simple. Je ne m'assois pas à la maison en réfléchissant sur le temps et l'espace. Je pense à sortir les poubelles sinon ma femme va me hurler dessus".

Judéité et "russitude"
Commençant par "Mon ami est juif et il a une question", un spectateur a voulu savoir ce qui était lié à la religion juive dans l'oeuvre de James Gray. Lequel a répondu : "C'est la meilleure question que j'ai entendue de ma vie. [Plus sérieusement] Je ne suis pas quelqu'un de religieux, je suis plutôt athée". Reconnaissant chez lui "une part de détresse venant d'un juif new-yorkais", Gray a évoqué une anecdote familiale. Son grand-père possédait dans le garage de sa maison une Ford modèle A qui ne marchait pas. Le jeune James lui avait demandé par l'intermédiaire de son père [les grands-parents du cinéaste ne parlaient que russe et yiddish] pourquoi il conservait ce véhicule hors d'état de marche. Le patriarche avait alors répondu : "Parce que tu ne sais jamais quand ils vont venir te chercher". Il faut dire que les arrières-grands-parents de Gray avaient été tués lors de pogroms en Russie tsariste. Et le cinéaste de préciser que cette détresse est en lui, malgré lui. Il a assuré que lorsqu'ils ont fait Two Lovers avec Joaquin Phoenix, ils étaient persuadés d'avoir fait une comédie ! "Cette tristesse est plus russe que juive, a poursuivi le cinéaste. Anna Karénine, c'est un livre de 800 pages sans aucune blague."
   
Opéra à Paris
"Mon prochain projet n'est pas un film. J'ai signé la mise en scène du Mariage de Figaro pour le Théâtre des Champs-Elysées. je ne sais pas vraiment ce que je fais. J'avais demandé conseil auprès de William Friedkin et Sofia Coppola, qui ont déjà mis en scène des opéras. Sofia m'a dit que ce n'était pas différent d'un film. ce n'est pas vrai, c'est très différent !" Gray souligne qu'il y a cinq ans, le directeur du théâtre l'avait déjà sollicité pour mettre en scène un opéra à Paris et qu'il avait refusé. Le Français avait insisté. Son épouse lui avait alors conseillé d'accepter, arguant que ce serait une belle expérience artistique pour lui et qu'en plus, toute la famille pourrait vivre pendant quelque temps à Paris. "J'ai fini par dire oui et ma femme et mes enfants sont restés aux Etats-Unis..."

Anderton

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