jeudi 16 juillet 2020

Jungle Fever - Mo' Better Blues : redécouvrir Spike Lee en haute définition

En Blu-ray et DVD : Entre ses deux "grands oeuvres" Do The Right Thing (1989) et Malcolm X (1992), Spike Lee signe Mo' Better Blues (1990) et Jungle Fever (1991), deux longs-métrages qui, loin des polémiques suscitées à leurs sorties, ont passé l'épreuve du temps. Elephant Films nous les propose en combo Blu-ray/DVD dans de magnifiques versions haute définition.



Identités
Délaissant le quartier populaire de Bedford-Stuyvesant de Do The Right Thing, Spike Lee s'intéresse dans ces deux films à des personnages issus de la bourgeoise noire américaine. Bleek Gilliam (Denzel Washington) est un trompettiste virtuose qui a formé un quintette de jazz tandis que Flipper Purify (Wesley Snipes) est un architecte tout aussi doué qui contribue à la réussite du cabinet où il travaille. Le premier vit à Brooklyn Heights, le second à Striver's Row, à Harlem - deux quartiers huppés de New York. Rien à voir donc avec les représentations stéréotypées d'Afro-américains auquel Hollywood nous a habitués. 
Pour autant, nous démontre Spike Lee, la success story de ces middle class men est freinée par une double réalité que subit l'homme noir américain. D'abord, l'incontestable talent individuel de Bleek et de Flipper n'est pas reconnu à sa juste valeur par leurs employeurs blancs : les patrons d'une boîte de jazz (John Turturro et Nicholas Turturro) qui ne veulent pas augmenter le cachet du premier ; les patrons du cabinet d'architectes (Tim Robbins et Brad Dourif) qui ne veulent pas faire du second leur associé. A cette injustice flagrante, s'ajoute la pression des proches : l'ami d'enfance (Spike Lee) de Bleek devenu son imprésario mais qui est incompétent ; le frère camé (Samuel L. Jackson) de Flipper - tous deux étant en permanence à la recherche d'argent. 
Racisme sournois d'un côté, poids de la communauté de l'autre... malgré tous ses efforts, l'homme noir ne peut prendre son envol. Par ailleurs, son épanouissement se traduit, chez Bleek comme chez Flipper, par son incapacité à s'enraciner dans une relation sentimentale durable. Le trompettiste entretient des liaisons avec deux petites amies ; l'architecte trompe son épouse avec une collègue blanche. Et leurs mensonges finissent par leur exploser à la figure, ruinant tous leurs efforts pour s'élever professionnellement et socialement.


Sensualité
De Mo' Better Blues et Jungle Fever, se dégage une incroyable sensualité. Laquelle découle autant des mouvements de caméra, tout en souplesse, que des couleurs chaudes de chaque film (éclairés à chaque fois par Ernest Dickerson) et de la musique, signée Bill Lee avec Terence Blanchard pour MBB, lequel a composé le score de JF, entrecoupé des belles chansons de Stevie Wonder. Sensualité au coeur des récits qui font la part belle aux émotions, à la séduction mais aussi aux scènes de sexe. Un point important pour Spike Lee, qui a tenu tout au long de sa filmographie à montrer ce qu'Hollywood occultait, à savoir des Noirs qui s'aiment, s'embrassent, font l'amour.


Générosité
En revoyant les deux films, que j'avais découverts lors de leurs sorties en salle, je suis frappé par la générosité de Spike Lee, par sa volonté de nous offrir des récits de vie riches et complexes, qui sont porteurs d'un discours engagé et d'une réflexion intelligente sur la communauté noire mais au-delà, sur la société américaine, le couple, la famille, l'art. Et ceci, tout en nous proposant de purs moments de cinéma, avec une mise en scène élaborée ainsi qu'une photo et une musique somptueuses.

Comédiens
Au talent de metteur en scène, s'ajoute celui de directeur d'acteurs. Spike Lee s'entoure de formidables interprètes qui livrent des prestations fortes. Cela vaut pour Denzel Washington, Wesley Snipes, Annabella Sciorra, Halle Berry (dans un total contre-emploi) et même Anthony Quinn mais aussi pour la "troupe" du cinéaste : Samuel L. Jackson (prix du meilleur second rôle masculin au Festival de Cannes 1991 pour son rôle de crackhead), Giancarlo Esposito, John Turturro, Bill Nunn, Ruby Dee, Ossie Davis...

Polémiques
A leur sortie, les films sont accompagnés de polémiques que le cinéaste a parfois attisées. Pour Mo' Better Blues, Spike Lee est accusé d'antisémitisme pour avoir représenté des patrons de club juifs qui sont cupides et roublards. Pour Jungle Fever, on lui reproche de réduire la communauté italo-américaine à un groupe de racistes un peu niais. Or, 30 ans après leurs sorties, les films se révèlent beaucoup plus nuancés que ce que certains ont voulu nous faire croire à l'époque. Jamais Spike Lee n'idéalise la communauté afro-américaine, pas plus qu'il ne caricature les Blancs. Certes, sa vision des relations entre Noirs et Blancs est marquée par les préjugés, l'incompréhension, le racisme, la haine (avec une édifiante scène de violence policière dans Jungle Fever) mais il y a ici et là des lueurs d'espoir. Et l'humour est toujours présent. Comme pour atténuer des propos ou des situations qui seraient sans cela insoutenables. 

Editions
Elephant Films a fait fort en distribuant les films via deux magnifiques masters, complétés chacun par des entretiens passionnants avec Régis Dubois, que nous avions interviewé lors de la publication de son excellent ouvrage consacré au cinéaste. Des éditions qui justifient d'accueillir Mo' Better Blues et Jungle Fever dans votre vidéothèque.

Anderton


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