En salles : Steven Spielberg s'est lancé dans l'adaptation de West Side Story - la comédie musicale de 1957, pas le film de 1961 - avec une fougue de jeune homme et la sagesse d'un artiste horrifié par la montée de la haine. Le résultat est virevoltant, émouvant, enivrant !
Si le cinéaste a souvent filmé ses personnages en train de danser, que ce soit dans E.T., Always, A.I., Arrête-moi si tu peux ou Ready Player One, il n'avait jamais réalisé de comédie musicale. Il s'était pourtant brillamment approché du genre en mettant en scène deux numéros dansants dans 1941 et Indiana Jones et le temple maudit.
Sa faculté à capter le mouvement et à l'accompagner, voire à l'accentuer par sa mise en scène dynamique et inventive me rassuraient sur sa capacité à réaliser un musical. J'avais même hâte de découvrir comment il allait faire sien ce genre si particulier. J'avoue avoir eu un peu de mal à entrer dans le film. J'ai été décontenancé par son long plan-séquence d'introduction et les comédiens/danseurs qui interprètent les Jets me semblaient manquer cruellement de charisme. Et puis, au bout de cinq minutes, la magie a opéré. Je suis enfin entré dans le film. L'action s'est mise en place et les personnages en mouvement. Leur personnalité s'est révélée en même temps que celle de la ville. Car New York est un personnage à part entière. Grâce à une formidable reconstitution, on se retrouve plongé au coeur des fifties, dans un Upper West Side en pleine rénovation. Tourné à New York même et dans un studio du New Jersey, le film dégage une authenticité qui facilite l'immersion du spectateur. La photo de Janusz Kaminski y joue pour beaucoup : elle souligne le "vécu" de la Grosse Pomme et fait éclater les couleurs des vêtements.
Une formidable modernité
J'avais choisi de ne pas revoir le film de Robert Wise, pour ne pas être amené à comparer les deux adaptations. Bien m'en a pris. J'ai eu l'impression de redécouvrir des chansons devenues cultes, dues au génial Leonard Bernstein, et dont l'apparente simplicité des paroles - signées Stephen Sondheim - exprime à la fois des espoirs et des rêves brisés tout en dessinant un rêve américain inaccessible. Spielberg ne s'est pas laissé porter par l'air du temps : avec son scénariste Tony Kushner, il a respecté le livret de base, dont il souligne la formidable modernité. La haine de l'autre est toujours à l'oeuvre. Le refus de la différence, lié à la méconnaissance de soi comme de l'autre, mène à la violence. Ce sont surtout les hommes qui se battent, pour un territoire voué à la démolition. Les Blancs (Jets) et les Portoricains (Sharks) se détestent, oubliant qu'ils sont tous des fils d'immigrants. Et donc des Américains à part entière. Les femmes peinent à sortir de cette culture guerrière et à faire entendre raison aux gangs. Mais, déjà, elles affirment leur volonté d'indépendance.
Et puis, il y a l'amour. Entre Tony (Ansel Elgort) et Maria (Rachel Zegler), c'est love at first sight. Un amour qui transcende les origines - Spielberg choisit d'ailleurs de ne pas toujours sous-titrer les propos en espagnol, comme pour montrer que les différences ne forment pas un mur infranchissable, même s'il utilise grillages et cages d'escalier pour enfermer des personnages eux-mêmes prisonniers de leurs propres préjugés. Mais le coup de foudre est contrarié par un coup de feu. Roméo et Juliette Manhattan style. Les différences seraient-elles insurmontables ? Non : Valentina (Rita Moreno), la vieille épicière d'origine portoricaine, a été mariée à un Blanc, dont elle chérit la mémoire. Son couple incarne celui que Tony et Maria aurait pu former, si le ghetto n'avait pas imposé sa loi. Amour aussi entre Anita (Ariana DeBose) et Bernardo (David Alvarez). Même issue tragique. Les comédiens sont formidables, ils dégagent une innocence touchante et surtout une belle énergie. Mention spéciale à Ariana DeBose.
Spielberg filme la passion sans concession et la vitalité exubérante d'une jeunesse prometteuse. L'inventivité de sa mise en scène fait de chaque séquence un moment exaltant. En jouant malicieusement avec le réel (un projecteur qui s'allume quand Tony entonne Maria), le cinéaste enchante le monde âpre dans lequel se débattent ces jeunes gens. Il apporte aussi un peu de magie dans nos vies, à une période où nous en avons tous besoin. Grâce à West Side Story, on sort joyeux du cinéma. Merci Monsieur Spielberg !
Anderton
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