Buzz : Réalisateur à succès, John Frankenheimer compte parmi ses plus grands films Le Prisonnier d’Alcatraz (1962), avec Burt Lancaster. Mais lors de la sortie de Seconds L'Opération diabolique, en 1966, le film est un échec cuisant. Véritable Faust moderne, Seconds remet en cause nombre de fondements de notre société et du capitalisme, à commencer par le rêve américain. Programmé ce lundi à 21h30 au Cinéma de la plage, dans le cadre du Festival de Cannes, ainsi que dans deux autres festivals : en 2014, Seconds rencontre son public.
"Un des films les plus gauchistes du cinéma américain"
La soixantaine, Arthur Hamilton est vice-président d’un banque américaine. Il a une femme, une maison, une fille mariée et une belle voiture. Quand Harry, un vieil ami tenu pour mort, lui donne un rendez-vous, Arthur entre dans les locaux de la Compagnie, société spécialisée en "renaissance". Signant ainsi un pacte avec le diable, Arthur est précipité dans la peau de Tony Wilson, jeune peintre talentueux.
Trop noir, d’un pessimisme revendiqué, Seconds déconcerte son public de 1966, et déplaît aux distributeurs qui censurent une scène de nu. Privé d’une de ces séquences pivot, le film est déséquilibré, comme l’affirmera Frankenheimer au cours d’un entretien avec Michel Ciment et Bertrand Tavernier pour la revue Positif. Ces derniers qualifient Seconds "d’un des films les plus gauchistes du cinéma américain", et à raison.
Détruisant peu à peu le rêve américain, il se centre sur le matérialisme et les règles de vie édictées par la société. Dans un monde de publicité permanente, l’homme peine a trouver son véritable bonheur. Happée par ces règles, l’individualité de chacun ne peut se déployer, faisant des hommes une poignée d’incompris.
En marge d’Hollywood
Dans le fond comme dans la forme, Frankenheimer joue sur les notions de modèles, de norme et de marge. Alternant plan moyen et très courtes focales, les images sont tantôt droites, aux lignes de forces claires, tantôt légèrement distordues, comme s’échappant du cadre. Pensé par le célèbre graphiste Saul Bass (générique de La mort aux Trousses), le générique pose d’emblée ces thématiques : des parties d’un visage progressivement distordu sont filmés en gros plans, véritable puzzle humain qui ne s’assemble que dans le plan suivant ; une image de foule, une gare. Comment notre intériorité, masquée et déformée par la société, s’achève de se noyer dans la masse...
Rock will roll
Prégnante dans le film, cette question se ressent même au casting : en sélectionnant deux acteurs blacklistés des studios à cause de leurs activités communistes (John Randolph et Will Geer), Frankenheimer questionne cette notion de "deuxième chance" abordée dans son scénario. Quant au rôle principal, Arthur devenu "Tony", le réalisateur choisit Rock Hudson, vedette de comédies populaires et gendre idéal notoire, en l’utilisant à contre-emploi. Beaucoup critiqué à l’époque, ce choix semble au contraire appuyer grandement le propos du film en détournant un des clichés du rêve américain en héros romantique, à la recherche de sens et d’individualité.
Ressorti au cinéma par le distributeur Lost Films, Seconds est actuellement programmé au Festival de Cannes, à celui de la Rochelle et de Paris Cinéma. Diffusé à partir du 16 juillet dans des salles d’art et d’essai, il semble progressivement rencontrer le public dont il avait manqué. Dans notre ère de remise en question progressive du capitalisme, ce film revêt l’aspect contestataire souvent adopté en temps de crise. Avec le soupçon de nostalgie et de cynisme de notre génération, Seconds est véritablement un film de notre temps.
Anouk
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