Artistes : Inaccessible, difficile, radical. Pour ne pas dire chiant. C'est souvent de cette manière qu'on entend parler – à tort – de Michelangelo Antonioni, le maestro italien, auquel la Cinémathèque rend hommage du 9 avril au 19 juillet, à travers une exposition et une rétrospective. Or, pour peu que le spectateur veuille y prêter attention, il incarne tout l'inverse : ouvert, simple, passionnant.
Cinéaste novateur, expérimental, peintre des sentiments, formaliste et atmosphérique, Antonioni a créé une oeuvre qui brasse tous les médias : cinéma, mais aussi télévision, vidéo, poésie, peinture, critique. Et théâtre et musique, qu'il pratiqua pendant son enfance et son adolescence à Ferrare. Autant dire une œuvre majeure, totale, de la part d'un véritable humaniste, au style révolutionnaire, qui a marqué l'histoire du cinéma. On parle de lui comme d'un formaliste – c'est vrai. Mais ce qui frappe surtout, c'est l'exceptionnelle émotion qui se dégage de ses films : le final de L'Eclipse, celui de Profession reporter. Ou bien quand il filme ces corps enlacés dans le désert californien de Zabriskie Point.
Tout au long de la semaine, Cineblogywood vous propose un retour sur l'immense carrière d'un immense artiste à l'oeuvre séminale, dont on retrouve des stigmates aussi bien chez Hou Hsiao Hsien, Brian de Palma ou Michael Mann que chez Jay Z ! Aujourd'hui, d'où viens-tu, Michelangelo ?
Thèâtre et littérature
Peu prolixe sur son enfance et son adolescence, on sait de lui qu'il est né le 29 septembre 1912 à Ferrare, ville chargée de culture et d'histoire Renaissance, située de la plaine du Pô, dans laquelle il situera l'action de certains de ses films. Une enfance sans histoire, dans une famille populaire, père et mère issu d'une famille prolétaire, avec un frère. Pour vous donner une idée de l'ambiance, voyez Le Jardin des Finzi Contini, de Vittorio de Sica.
Si'il se montre attiré par le cinéma – son premier film vu ? Un film d'horreur à sketch, Le Mystère de Koenigsmark ! - il intègre une troupe de théâtre amateur à Ravenne, puis à l'université. Il écrit quelques pièces influencées par Pirandello et Ibsen. Parallèlement, il monte un cercle littéraire avec le futur écrivain Giorgio Bassani, originaire également de Ferrare (Le Jardin des Finzi Contini, Les Lunettes d'or). Voue un culte à Gide, Joyce et Pavese.
Bifurcations inattendues
Mais, première bifurcation, Antonioni s'engage dans des études techniques, lui le littéraire ! Et ce pour suivre une fille. Puis s'inscrit en sociologie et économie à l'institut de Bologne. Parallèlement, journaliste au Corriere padano, le journal de Ferrare, il écrit une centaine d'articles de 1936 à 1940. Sa tentative de tourner un documentaire sur les aliénés à Ferrare se solde par un échec.
Nouvelle volte-face : en 1939, il intègre à Rome la revue Cinema, dirigée par le fils de Mussolini. Ses principales critiques montrent un éclectisme certain et son goût pour Lubitsch, Duvivier, Rossellini, Ophuls, mais aussi pour certains cinéastes oubliés aujourd'hui – Feyder, Fejos ou L'Herbier. Signe de son extrême curiosité : il s'attarde sur John Ford, Capra, Hawks. Ombre au tableau : lui sera longtemps reprochée sa critique du Juif Süss, oeuvre qu'il rejette pourtant aussi bien pour des motifs idéologiques qu'esthétiques. Tout en s'excusant d'en avoir rédigé une critique.
Puis il intègre l'armée, de 1942 à 1943. Ce qui lui permet de collaborer au scénario d'un film de Rossellini, Un pilota ritorna ; et d'assister Marcel Carné sur le tournage des Visiteurs du soir (où il croise Alain Resnais, alors figurant !). Très mauvaise expérience avec Carné, considéré alors comme le Welles français, mais rencontre avec Alain Cuny, et la littérature d'Albert Camus. Il y parfait ses connaissances techniques.
Le documentaire, le fondement de son esthétique
Signe de son intérêt pour le documentaire, il rédige un manifeste publié dans la revue Cinema en 1939, Pour un film sur le fleuve Pô, texte programmatique sur le documentaire. Et qui rétrospectivement jette les bases de ce qui deviendra le néo-réalisme. C'est bien dans le néo-réalisme et le documentaire que se forge le cinéma d'Antonioni – langage qu'il arpentera jusqu'à la fin de sa carrière, via des formats longs – sa monumentale Chine – ou celui qu'il consacrera aux îles éoliennes en 1983.
C'est pendant une permission qu'il signe son premier documentaire, Gente del Pô (janvier 1943), parallèlement à Visconti qui débute dans la même région le tournage de Obsessione, considéré comme le manifeste du néo-réalisme. Visconti, avec lequel il collabore pour la rédaction de divers scénarios en 1943. Mais trop exigeant vis-à-vis de lui-même, refusant tout compromis, il cesse sa collaboration. Et continue après-guerre dans l'écriture et la réalisation de courts-métrages, dont celles de Gente del Pô, qu'il reprend après guerre,
Puis vient Nettoyage urbain (Nettezza Urbana, 1947-1948), tourné à Rome, sur le quotidien des éboueurs, son meilleur doc où s'épanouit son acuité visuelle à isoler des détails qui en disent long sur la psychologie des personnages, comme par exemple un fragment d'architecture pour cerner une humeur ou une silhouette. L'amour-mensonge (1949), sur les romans-photos, leur essor et leur fabrication. A voir en complément de Courrier du cœur, de son contemporain Fellini. Entre 1949 et 1950, il tourne quatre autres courts métrages, dont Superstition, voyage dans les croyances populaires et dont le tournage fut interrompu par crainte de la censure.
Personnellement, j'ai eu la chance de voir l'ensemble de ses courts métrages lors d'une projection exceptionnelle au Forum des images en octobre 1993, suivie par l'arrivée martiale, d'entre les limbes, d'Antonioni, qui n'avait alors quasiment plus donné signe de vie artistique depuis son accident cérébral de 1985, qui l'avait laissé aphasique. Frissons. Indispensables pour connaître les fondations de son œuvre protéiforme.
A lire :
Travis Bickle
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire