Artistes : A J-1 de l'exposition et la rétrospective que la Cinémathèque consacre à Michelangelo Antonioni, Cineblogywood évoque la vie et l'oeuvre du cinéaste italien. Aujourd'hui, troisième épisode sur son quatuor des sentiments qui lui apporte enfin la reconnaissance.
L'Avventura (1959) : en 1957, Antonioni rencontre Monica Vitti, 23 ans, alors qu'il s'apprête à monter une pièce qu'il avait écrite, Scandales secrets, avec également Virna Lisi. Expérience peu concluante, qui le fera avouer : "En tant que metteur en scène, le théâtre m'ennuie". Même si les producteurs l'incitent à abandonner des histoires sombres, il se lance dans L'Avventura, dont le tournage tourne au désastre : faux bond du producteur initial, équipe bloquée sur l'île rocheuse de Lisca Bianca, grève des techniciens... Au final, une projection publique mitigée au Festival de Cannes, suivie d'un soutien pétitionnaire de 35 personnalités, dont Roberto Rossellini et André Bazin, et du Prix spécial du Jury. Triomphe public en France, il suscite enfin le début de la reconnaissance en Italie. Son film le plus célèbre en raison de l'usage inédit qu'il fait des paysages, de la beauté envoûtante et mystérieuse des images, de la modernité radicale de son sujet, et de la polémique qu'il a suscitée, L'Avventura n'est pourtant pas supérieur à La Nuit, L'Eclipse ou même Femmes entre elles. En 1983, le cinéaste revient sur Lisca Bianca pour un documentaire de dix minutes, célébration d'un paysage immortalisé par L'Avventura, cette fois-ci en couleurs.
La Nuit (1960) : le temps d'une narration concentrée sur un week-end, Antonioni peint les affres d'un couple qui se défait, dans le cadre de la bourgeoisie d'affaires et des intellectuels milanais. Comme une réponse à La Dolce Vita, couronnée un an plus tôt à Cannes, Antonioni livre là sa vision de la fête, non comme une célébration, mais comme la cristallisation de sentiments diffus. Chronique de l'agonie d'un couple, La Nuit est aussi une road movie urbain nocturne, une méditation sur la mort, une réflexion sur le rôle de l'intellectuel dans le boom économique de l'Italie, et surtout une balade plastique architecturale dans une métropole contemporaine. Tournage nocturne éprouvant pour les acteurs, Marcello Mastroianni, Monica Vitti et Jeanne Moreau, au point que cette dernière, tellement identifiée à son personnage de femme esseulée, refusera de voir le film ! Ours d'Or au Festival de Berlin en 1961, nouveau triomphe critique et public pour cette œuvre dont on n'est pas près d'oublier le petit matin final, totalement blafard.
L'Eclipse (1962) : à l'origine du film, les sentiments que ressent Antonioni en filmant une éclipse à Florence : "La seule pensée que j'avais en tête en filmant cette éclipse, c'était que probablement les sentiments pouvaient s'arrêter aussi". Alain Delon et Monica Vitti se cherchent, se trouvent s'échappent l'un à l'autre, dans le cadre d'une Rome futuriste, qui ne laisse pas de prise aux sentiment, à l'instar de la dernière séquence, un morceau d'écriture cinématographique poétique et filmique d'une rare intensité. Qui ne lasse pas de nous interroger. Et de nous étreindre le cœur. Témoins d'un rendez-vous manqué, les objets emplissent le vide laissé par les humains et leurs sentiments. Chronique de la mort d'un amour annoncée dès le début du film, L'Eclipse apparaît également comme l'autoportrait du cinéaste en jeune femme, au cœur palpitant. Sec et insaisissable, Antonioni ? Revoyez L'Eclipse pour vous défaire des clichés qui traînent sur lui. Grand prix spécial du jury à Cannes en 1962. Son chef d'oeuvre ? Pour moi, aucun doute !
Le Désert rouge (1964) : parce qu'il s'agit de son premier film pensé et imaginé en couleurs, Antonioni le prépare avec une minutie particulière : il repeint certains éléments du décor (routes, herbes, troncs des arbres, tuyauteries du complexe industriel, intérieurs de la masure). Et plante sa caméra dans le cadre industriel et brumeux de Ravenne, qu'il magnifie avec l'emploi du Scope. Autopsie de la névrose d'une femme, reflet de la dégradation de l'environnement et de l'avènement d'une société déshumanisée post-industrielle, Le Désert rouge – qui devait s'intituler Bleu et vert - est le film où Antonioni pousse le plus loin ses exigences formelles, avec de nombreuses références picturales à Chirico et Matisse A l'image de cette surprenante séquence de l'île rose, eden mythique et coloré, qui contraste violemment avec l'univers industriel de Ravenne, ses fumées jaunies, ses espaces verts ravagés. Véritable poème filmique, cri d'alarme angoissant contre la déshumanisation et l'industrialisation, Le Désert rouge s'apparente à une œuvre picturale, subjugante pour les uns, hermétique pour les autres. Lion d'Or à Venise en 1964.
Travis Bickle
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