En salles (le 8 avril) : Incroyable succès au BO italien, le sixième film de Mario Martone revient sur les traces d'un génie de la littérature italienne, Leopardi, dont on connaît en France davantage le nom que les œuvres.
Grâce à ce biopic classique, mais qui défie les lois de l'académisme, Mario Martone, cinéaste are et précieux, discret ces dernières années, malgré quatre films, et son magistral Mort d'un mathématicien napolitain (1993), revient au premier plan avec une œuvre majeure, biopic consacré à un héros national, porté par une mise en scène inspirée et une interprétation fiévreuse et habitée d'Elio Germano dans le rôle titre.
La culture, instrument d'oppression et d'émancipation
Contemporain de Keats et Musset, Giacomo Leopardi (1797-1838) est une figure romantique de la culture italienne. Poète, donc, mais aussi philosophe, diariste, engagé dans les combats collectifs progressistes pour l'unité italiennes du Risorgimento, alors qu'il restait à titre individuel fondamentalement désespéré et pessimiste, il apparaît sous la caméra du Napolitain Mario Martone comme un rebelle rock, porté par une rage et une fièvre de vivre qui va l'animer toute son existence, malgré ses disgrâces physiques.
Bossu, malade, mélancolique, il est reclus dans la maison familiale de Recanati, dans la région des Marches, enfermé par un père qui le destine aux ordres et le confine, pour ce faire, dans une bibliothèque, avec son frère et sa soeur. Magnifique image que la littérature montrée sous un double jour, à la fois symbole d'oppression et d'émancipation ! Car pour s'échapper, Leopardi écrit, écrit, avec une rage impérieuse.
Destinée en trois actes
Le film suit ainsi la destinée du poète, de son enfance à sa mort, dans une villa sur les pentes du Vésuve, selon un schéma classique. Mais les partis pris de mise en scène de Martone arrachent son œuvre à l'académisme qui le guettait. D'abord, en se concentrant sur trois parties bien distinctes : l'adolescence recluse dans la propriété familiale, qui ouvre le film ; puis son échappée à travers l'Italie, de Florence à Naples, en passant par Rome, amorcée cut le temps d'une ellipse de dix ans ; enfin, l'enfance, montrée sous forme de légers flashbacks, comme réminiscences d'un temps idéal et inaccessible. Le tout tourné chronologiquement, en numérique, dans des décors naturels, notamment dans la maison du poète, à Recanati, qui confère au film une forme d'urgence et de contemporéanité, au-delà des contingences du film d'époque, qui risquaient à tout moment de le figer dans un certain immobilisme (décors, costumes, respect de la chronologie).
Rebelle rock avant l'heure
Rebelle rock anti-conformiste que le cinéaste compare souvent à Pasolini ou à Kurt Cobain, Leopardi apparaît comme un personnage d'avant-garde par rapport à son époque. D'où son parti pris de le relier au monde contemporain, notamment dans sa description baroque et fourmillante des bas-fonds interlopes napolitains (via l'apparition inattendue d'un transsexuel) ou bien par le mix de musique d'époque – Rossini – entrelardée de nappes électroniques du DJ berlinois Sascha Ring. Ou encore par sa manière de filmer la poésie : soit de manière classique, en voix off, magnifiée par la lumière du chef op français Renato Berta – magnifique épilogue consacré au Genêt, le poème le plus connu de son auteur, décliné en voix off, alors que le Vesuvio se trouve en pleine éruption ; soit de manière plus sophistiquée, aux limites de la science-fiction.
Peut-être le seul au final à avoir su capter cinématographiquement le mystère de la poésie et du génie, avec Jane Campion dans Bright star – consacré à Keats, justement – ou dans Un ange à ma table.
Composition fiévreuse et habitée d'Elio Germano
Enfin, en confiant le rôle titre à Elio Germano, Mario Martone a eu le nez creux. Performance totalement habitée de l'acteur en bossu lyrique et magnifique, beautiful loser avant la lettre, arc-bouté dans sa redingote verte, qui lui vaut le surnom de Grenouillet ! Lauréat du Prix d'interprétation masculine au festival de Cannes en 2009, il devrait accéder à la reconnaissance internationale avec ce film.
Composition d'anthologie, donc, qui ne doit pas non plus occulter celles de comédiens remarquables, dont Massimo Popolizio (Monaldo, le père), Valerio Binasco (l’écrivain Pietro Giordani, le mentor du poète) ou Michele Riondino (l’ami Antonio Ranieri), sans oublier Raffaella Giordano (Adelaïde, la mère, glaçante) ou Isabelle Ragonese (Paolina la soeur dévouée). Sans oublier celle d'Anna Mouglalis, dans le rôle tragique et lumineux de Fanny Tozzetti, femme aimée et inaccessible pour le poète.
Bref, pour reprendre les propos du cinéaste Mario Martone, à propos de Leopardi : "Pas besoin de connaître son œuvre : il suffit d'avoir une âme et un coeur" pur apprécier dans toute sa mesure ce – n'ayons pas peur du mot ! - chef d'oeuvre du cinéma italien.
Travis Bickle
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