A lire : L'association Jeff Lemire - Andrea Sorrentino a produit de remarquables comics, tels le récent Primordial ou la série Gideon Falls. Avec Le Mythe de l'ossuaire, le duo explore à nouveau des territoires malsains et terrifiants. En témoignent les albums Le Passage et Des milliers de plumes noires.
Dans la postface du Passage, le dessinateur Andrea Sorrentino explique que son compère et lui voulaient "continuer d'explorer [leur] vision du genre horrifique en [se] concentrant sur des histoires plus courtes et auto-conclusives". Avec Le Mythe de l'ossuaire, les auteurs ont créé un "univers cohérent", éclairé sous un angle différent par chaque histoire. Pas de gore mais des ambiances inquiétantes et malaisantes, "à la croisée du thriller et de l'horreur", "là où la frontière entre réalité et imaginaire n'est qu'une ligne ténue et floue", poursuit l'artiste italien. Lovecraft et David Lynch sont des références assumées. On pense aussi à Stephen King.
L'album Le Passage est constitué de deux histoires (lisez un extrait). Dans la première, intitulée Mangeur d'ombre, un écrivain espère retrouver l'inspiration en s'isolant dans une cabane au bord d'un lac. Lors d'une balade, il découvre une maison à l'abandon qui dégage des ondes maléfiques. Court et flippant, ce récit nous plonge dans une ambiance dérangeante. A travers des coups de fil de plus en plus désespérés à son épouse, le personnage révèle son extrême fragilité en même temps que les démons intérieurs qui l'assaillent. C'est tout l'art de Lemire de nous faire pénétrer dans la psyché fêlée de l'écrivain tandis que Sorrentino nous oppresse avec ses dessins sombres, d'autant plus effrayants qu'ils sont réalistes. Comme des reproductions sur-contrastées de photos prises sur le vif.
Le binôme déroule la deuxième histoire, Le Passage, sur les deux-tiers de l'album. Un géologue se rend sur une petite île habitée par une gardienne de phare. Un immense trou est apparu sur ce roc battu par le vent et les vagues. Le jeune scientifique cherche à comprendre cet étonnant phénomène. Mais le voici pris de visions cauchemardesques et de souvenirs familiaux traumatisants. Cette alternance et parfois confusion entre la réalité et l'imaginaire offre à Andrea Sorrentino la possibilité de jouer avec les cases, qu'il déconstruit, tord, éclate, transformant le carré en cercle - rappel au gouffre béant dans lequel se perd le protagoniste. Brillante mise en scène.
L'album intitulé Des Milliers de plumes noires propose un récit complet sur 160 pages (découvrez les premières planches). Trish revient dans la ville où ado, elle a rencontré Jackie, qui est rapidement devenue sa meilleure amie. Ensemble, dans le sous-sol de la maison de Jackie, elles ont écrit une histoire de fantasy, où leurs avatars affrontaient des entités démoniaques. Puis Jackie s'est éloigné de Trish et elle a disparu. L'enquête de police n'a rien donné. Trish est donc revenue et cherche à comprendre. Lors de son "enquête", elle découvre une maison de l'horreur et un trou béant dans lequel elle décide de s'engouffrer.
On comprend la démarche des auteurs, on retrouve l'univers et les thématiques de l'autre album. Jeff Lemire projette à nouveau deux êtres paumés dans un inframonde terrifiant, peuplé de créatures innommables et de divinités païennes avides de sang. Sorrentino met en scène deux époques en adaptant son style : pour évoquer le passé frivole des deux ados, il opte pour un dessin au trait fin, lumineux, coloré, privé d'ombres ; en revanche, il revient à son style charbonneux et étouffant lorsqu'il met en scène le présent. Là encore, il nous cueille avec des planches oppressantes. Certaines de ses cases restent figées dans notre rétine.
Avec ces deux albums grand format, magnifiquement conçus et fabriqués par Urban Comics, Jeff Lemire et Andrea Sorrentino réussissent leur pari. Celui de nous donner la chair de poule. Vous êtes prévenus.
Anderton
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