Inspiré de l'enquête menée par Inès Léraud, Les Algues vertes sort en vidéo chez BlaqOut. Le film de Pierre Jolivet aborde avec réalisme la pollution qui gangrène certains territoires de Bretagne. Céline Sallette est formidable.
Depuis 1989, trois hommes et une quarantaine d'animaux ont été retrouvés morts en Bretagne, dans des zones recouvertes d'algues vertes. A chaque fois, les analyses ont été bâclées, les autopsies n'ont pas été pratiquées. L'omerta règne tant les intérêts en jeu sont immenses. Car la prolifération des algues, qui en pourrissant dégagent du sulfure d'hydrogène potentiellement mortel, est un phénomène dû à un triple facteur : des eaux peu profondes, une météo clémente et la présence de nitrates dans les cours d'eau. Une présence incroyablement élevée que les écologistes et journalistes attribuent aux élevages abondants dans la région. Ce que démentent les organisations syndicales d'agriculteurs, soutenues par l'administration et les élus locaux.
La journaliste Inès Léraud a longuement enquêté sur cette affaire. Avec le dessinateur Pierre Van Hove, elle a publié une passionnante bande dessinée : Algues vertes, l'histoire interdite, publiée chez Delcourt (découvrez un extrait). C'est cet ouvrage et l'expérience vécue par la journaliste que Pierre Jolivet a adapté en film. Le scénario a d'ailleurs été écrit par le duo.
Le film n'est évidemment pas aussi exhaustif et précis que la BD, qui par ailleurs propose en bonus un certain nombre de documents étayant l'enquête. A l'écran, il faut accepter de croire ce qu'avancent les personnages. Autre différence : Inès Léraud et Pierre Van Hove décortiquent les liens qui unissent industriels et politiciens bretons, les cercles d'affaires, les réseaux, les amitiés solides... Peu de noms sont cités dans le film, à part celui de Jean-Yves Le Drian. Pour autant, l'influence de certains maires, le rôle de la FNSEA et l'important lobbying mené à Bruxelles sont ouvertement évoqués. On comprend clairement qu'une guerre économique est engagée avec le soutien actif des pouvoirs publics français et qu'elle génère des victimes collatérales.
Catastrophe nationale et drames intimes
Le premier intérêt des Algues vertes est de poser clairement le problème et d'aborder tous ses enjeux. Les agriculteurs et politiciens au coeur du système expriment leurs points de vue, rappellent l'industrialisation forcée et la pauvreté des paysans bretons au sortir de la deuxième Guerre mondiale. Mais la compétition économique et l'impact touristique sont vite balayés par les conséquences sanitaires et environnementales de la pollution. Pierre Jolivet donne à voir la beauté souillée de la Bretagne et surtout, le drame des familles qui ont perdu l'un des leurs. Le film parvient à rendre compte d'un scandale national tout en rentrant dans l'intimité des victimes et de la journaliste.
De mémoire (mais cela fait un bail que j'ai lu la BD), Inès Léraud ne s'étend pas beaucoup sur sa vie malmenée par les vagues que provoquent son enquête. On comprend qu'elle est en butte au silence et aux menaces. A l'écran, Céline Sallette l'incarne avec beaucoup de justesse. On la voit blêmir face aux regards lourds ou aux insultes, on perçoit sa fragilité en même temps qu'une détermination sans faille. La comédienne sait aussi être à l'écoute de ses interlocuteurs : on sent sa colère monter ou son émotion prête à déborder. L'ensemble du casting est au diapason : Nina Meurisse en compagne douce et au soutien indéfectible, Julie Ferrier en femme de victime déchirée, Jonathan Lambert en fonctionnaire conscient de la catastrophe mais impliqué dans le système, Pasquale d'Inca en lanceur d'alerte qui garde le cap dans la tempête...
Il ne faut pas s'attendre à un thriller avec des montées de suspense sur fond de violons stridents. Le film manque d'ailleurs un peu de tension dramatique mais il le compense avec une exposition argumentée du problème et un groupe d'acteurs qui porte le récit et l'humanise. BlaqOut a la bonne idée d'enrichir cette édition vidéo par un court-métrage à l'humour grinçant et forcément nauséabond : Mona Lisier (2004) de Clode Hingant avec Bernard Farcy et Clémentine Célarié.
Anderton
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