En 2005, dans le cadre d'une pige pour La Revue du souvenir napoléonien, j'ai eu le plaisir d'interviewer le regretté Michel Ciment sur la rencontre ratée entre Stanley Kubrick et Napoléon. Alors que le film de Ridley Scott est sorti sur nos écrans, et que le critique nous a récemment quittés, je vous partage les propos qu'il m'avait alors confiés. Entre bienveillance et plaisir de s'exprimer sur l'un des maîtres du cinéma, auquel il avait consacré un ouvrage de référence.
Votre premier contact avec Stanley Kubrick remonte à 1969. Vous souhaitiez l'interviewer sur 2001 L'Odyssée de l'Espace et, racontez-vous, c'est lui qui vous a posé des questions... sur Napoléon !
Michel Ciment : Kubrick avait terminé 2001 mais il travaillait déjà sur un scénario consacré à Napoléon depuis le début de l'année 1968. Il m'a posé des questions sur Napoléon et sur le point de vue des historiens français. Kubrick avait accumulé près de 500 ouvrages et 18 000 illustrations sur l'homme et son époque. Il voulait tout savoir : ce qu'il lisait, ce qu'il mangeait, sa vie amoureuse...
Pourquoi le cinéaste s'intéressait-il à Napoléon ?
La clé de l'œuvre de Kubrick, c'est le conflit entre les passions et la raison. Kuhrick était un calculateur, quelqu'un de totalement impliqué dans la stratégie et la vérification de chaque chose. Il préparait tous ses films avec beaucoup d'attention. Et en même temps, il savait qu'un grain de sable était toujours possible, qu'il soit lié aux faiblesses humaines ou aux circonstances. Napoléon en était en quelque sorte l'illustration : Kubrick était fasciné par celui qu'il considérait comme le plus grand stratège de l'histoire de l'humanité — il estimait d'ailleurs qu'Abel Gance n'avait pas su en rendre compte à l'écran — mais aussi par son échec final, en particulier la campagne de Russie.
Que sait-on de son projet inabouti ?
24 assistants avaient travaillé sur le projet, 500 costumes avaient été fabriqués. Pour interpréter Napoléon, le cinéaste avait approché David Hemmings, Oskar Werner puis Jack Nicholson. Le rôle de Joséphine devait revenir à Audrey Hepburn. Le film, prévu pour être tourné en 70 mm, aurait coûté 4,5 millions de dollars.
Pourquoi le film ne s'est-il pas fait ?
Après le succès relatif de Waterloo (1970) de Sergei Bondarchuk, avec Rod Steiger dans le rôle de Napoléon, la MGM a eu peur que les spectateurs ne veuillent pas voir un autre film sur ce thème. Plus tard, Kubrick a tenté à plusieurs reprises de monter son film. Sans succès. Finalement, Kubrick a réutilisé une partie de son travail préparatoire pour Barry Lyndon (1975), dont le personnage principal est un roturier d'Irlande qui part pour l'Angleterre, fait la guerre, s'élève socialement et finit mal. C'est en sorte un Napoléon de sous-préfecture.
Anderton
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