En salles : Peu de rééditions comme celle du film de John Frankenheimer n'ont suscité autant d'étonnement. Disparu des radars de la cinéphilie, Seconds est une authentique redécouverte. Une pièce maîtresse entre Orson Welles et Alan Pakula. Oubliez tous les blockbusters de l'été pour vous précipiter vers ce diamant noir quasiment inédit en France depuis sa sortie en 1966, signé par l'un des cinéastes les plus mésestimés des années 60, John Frankenheimer.
Seconds, c'est tout d'abord l'un des films les plus ultimes sur la paranoïa, signé par l'un de ses maîtres. Après Un crime dans la tête (1962) et Sept jours en mai (1964), voici la version mi-thriller, mi-drame existentiel du versant paranoïaque de la carrière de son réalisateur. En contant l'histoire d'un banquier qui, à la faveur d'un pacte faustien, accepte de subir une opération chirurgicale à même de le transformer physiquement, et de lui permettre de sauver ce qui lui reste de son existence, John Frankenheimer livre le chaînon manquant entre L'Arrangement, d'Elia Kazan et La Quatrième Dimension, la célèbre série de Rod Serling. Même peinture acerbe de l'American way of life, même portrait cinglant et poignant d'un homme d'âge mur au mitan de son existence, même tentative de dénoncer l'aliénation de l'homme moderne au travers d'un pitch à dimension mythologique et fantastique. Du très grand art narratif, dont le matériau d'origine est dû au romancier S-F David Ely
Une association artistique unique. On le sait, John Frankenheimer vient de la télévision, lieu alors d'expérimentation visuelles uniques à l'époque. Là, son talent a été de s'unir le talent des trois meilleurs plasticiens visuels de son temps : le chef opérateur James Wong Howe (Le Grand chantage, 1957), qui apporte son œil expressionniste à un noir et blanc charbonneux et dépressif ; Saul Bass, pour un générique d'anthologie, qui anamorphose et distord les visages, les membres corporels et réinvente complètement notre perception ; enfin, le compositeur Jerry Goldsmith, qui signe une partition stridente et glaçante, véritable requiem for a dream.
Auquel s'ajoute le talent créatif d'un John Frankenheimer au sommet de son art : que ce soit l'incipit dans Grand central à New-York ou une bacchanale hallucinante flower-power sur la côte Ouest des US, en passant par le climat d'inquiétante étrangeté des opérations chirurgicales, rarement le sentiment de malaise middle crisis de l'Homo americanus n'a été saisi avec autant d'acuité visuelle qu'ici. Sans compter l'inventivité formelle d'un cinéaste qui ose tout avant tout le monde, et notamment les fameux plan en fish eye, et ce bien avant qu'ils ne soient popularisés par Darren Aronofsky dans le précisément bien nommé Requiem for a dream.
Une œuvre séminale. A la revoyure, nul doute que Seconds est resté le secret le mieux gardé ces cinéastes en quête d'inspiration. Outre Aronosfsky, impossible de ne pas imaginer un Lynch jubiler devant cette oeuvre – un gros plan s'introduisant dans l'oreille du protagoniste est là pour en attester, comme dans Blue Velvet. Nul doute aussi que des cinéastes classiques et expérimentaux comme Pakula ou Pollack n'aient pas été influencés par certains des plans du film de Frankenheimer. Impossible non plus que l'audace narrative, à mi-chemin de la S-F et et de la fable existentielle n'ait pas titillé un Franck Perry – ou un Sydney Pollack, initialement attaché au projet - au moment de la mise en chantier de The Swimmer (1967), une oeuvre longtemps restée dans l'ombre et qui partage avec celle de Frankenheimer le même souci narratif expérimental et formaliste...
Enfin, revoir Seconds, c'est l'occasion de revaloriser Rock Hudson, souvent considéré comme un acteur falot. Or, outre ses rôles emblématiques chez Douglas Sirk, il tient là le rôle d'une vie : celui d'un Américain passé à côté de sa vie. A ce titre, la scène où il revient sous son nouveau visage revisiter son domicile conjugal est l'une des scènes les plus poignantes qu'on ait pu voir dans le cinéma américain depuis.... Douglas Sirk !
Enorme bide à sa sortie, au point que Frankenheimer ait refusé d'assister à la conférence de presse qui a suivi la projection du film au Festival de Cannes en 1967, Seconds est une plus qu'une réédition : une véritable redécouverte, qui permet de réévaluer à sa juste mesure l'oeuvre de John Frankenheimer, et d'en apprécier la portée séminale jusque-là ignorée sur tout un pan du cinéma américain.
Lisez notre interview de Marc Olry, fondateur de Lost Films, à qui l'on doit la ressortie de Seconds.
Travis Bickle
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