Buzz : Le FOMO, tu connais ? Un acronyme comme en raffolent les Américains. C’est la "Fear of missing out", qu’on pourrait traduire par la peur de rater quelque chose. Comme quand tu vas de soirées en soirées, de peur de rater LA bonne, celle qu’il ne fallait absolument pas manquer (mais si, tu l’as déjà fait, un soir de réveillon, bilan, t’as marché des bornes et tu t’es pas vraiment marré). Une envie de tout voir, et la nécessité d’y aller... vite.
Rien à voir avec le ciné ? Bien sûr que si. Je m’explique : en repensant à l’année 2015, je me souviens presque plus des films que j’ai raté que des films que j’ai vu ! Pourtant, j’ai quand même vu 71 films, avec quelques vrais coups de cœurs (et quelques vraies foirades, aussi - cf mon Top/Flop 2015). Mais voilà : il y a énormément de films qui sortent, et ils restent de moins en moins longtemps à l’affiche. Dans un essai qui n’a rien à voir avec le ciné (La dictature de l’urgence, Fayard, 2011), Gilles Finchelstein détaille ce phénomène, en prenant l’exemple extrême de Celle que j’aime, d’Elie Chouraqui, qui n’est resté que quelques jours à l’affiche ! Par ailleurs, les films anciens ne sont quasiment plus projetés : en 1993, les films de plus d’un an représentaient 22% des films projetés ; en 2008, ce pourcentage est tombé à 7.5% seulement.
Pour voir un nouveau film, il faut donc aller vite. Et comme avec les réseaux sociaux, c’est devenu impossible de ne pas entendre parler des sorties, on a envie de tout voir. Pour son plaisir de spectateur, d’abord, quand on nous dit que c’est bien. Pour pouvoir se faire un avis, aussi, quand on le sentiment qu’un film est porté aux nues de manière artificielle, ou descendu en flammes avec de mauvais arguments. Evidemment, ce sentiment est carrément renforcé au moment des tops 10, à la fin de l’année. Tu fais ton propre bilan, mais tu vois aussi celui des autres... Et là, tu te dis alors : bordel, j’ai raté ça, ça, et ça. C’est bien simple, je n’ai vu que deux films sur le top 10 des Cahiers du cinéma. Deux sur dix ! Bon, en même temps, les goûts des Cahiers et moi...
Mais quand même ! Je me suis infligé Love, ou encore Daddy Cool (si, si, mais j’aime bien Mark Ruffalo), alors que j’ai manqué, entre autres :
Inherent Vice (Paul Thomas Anderson)
Trois souvenirs de ma jeunesse (Arnaud Desplechin)
L’homme irrationnel (Woody Allen)
L’ombre des femmes (Philippe Garrel)
Fatima, (Philippe Faucon)
Les milles et une nuit (Miguel Gomes)
Cemetery of splendour (Apichatpong Weerasethakul)
Summer (Alanté Kavaïté)
Vers l’autre rive (Kiyoshi Kurosawa)
Suburra (Stefano Sollima)
It follows (David Robert Mitchell)
Valley of love (Guillaume Nicloux)
Back home (Joachim Trier)
Et j’en oublie forcément...
De l’importance du choix
Beaucoup de films manqués, donc, car il y en a beaucoup qui sortent et qui sont chroniqués, et ils restent de moins en moins longtemps à l’affiche. Du coup chaque mercredi, je regarde Allociné avec inquiétude, pour savoir si les films que j’ai manqué sont encore diffusés. Il faut alors se décider : voir Back home avant qu’il disparaisse, ou The Revenant, qui vient de sortir, au risque de se taper la foule, compacte et parfois agaçante, caractéristique des premières semaines de diffusion ?
Vous allez me dire, le DVD, Canal+, c’est pas fait pour les chiens ? Oui, évidemment. Mais ça ne remplace pas le ciné. Loin de là. Imagine Mad Max Fury Road sur ton petit écran, à la maison. Zéro. Alors, il faut choisir. C’est ça qui est important... Pas le choix qu’on fait, mais le fait de choisir ! Même si, comme le dit André Gide :"Choisir, c’est se priver du reste".
C’est grave docteur ?
Evidemment, cette peur de manquer, cette focalisation sur ce qu’on a raté, plutôt que ce qui est à disposition, ce sont probablement des angoisses qui parlent d’autres choses que de cinéma, non ? Un avis sur la question, Sigmund ? Et merde, ça me rappelle que j’ai manqué le Dangerous Method, de Cronenberg...Ben voilà... ça me reprend.
Fred Fenster
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