mercredi 10 février 2016

L’Odorat : l'empire des senteurs

En salles : Anderton, le boss de Cineblogywood, nous envoie régulièrement des invits pour les avant-premières. On choisit d’y aller, ou pas, en fonction de nos disponibilités, de nos envies et de nos préférences. C’est pour cette dernière raison que j’ai choisi d’aller voir L'Odorat, le documentaire de Kim Nguyen, jeune réalisateur québécois. En regardant le trailer, j’ai vu que le film, autour de la question de l’odorat, abordait un certain nombre de sujet connexes : le goût, la sexualité, la mémoire, la gastronomie et encore l’œnologie, un domaine qui me passionne. 



Dans l’antichambre de la salle de projo, je comprends rapidement que le film va être un peu particulier : en effet, l’équipe ne nous souhaite pas un "bon film", mais… une "bonne expérience" ! Pourquoi ? Parce que je vais assister à mon premier film en odorama. Non, non, pas de grattages de pastilles à se mettre sous le nez (comme dans Polyester, le film de John Waters), mais une diffusion d’odeurs, à certains moments clés du film, par le biais d’une machine un peu magique... En rentrant dans la salle, je m’attends donc à tomber sur un bijou de technologie. En fait, pas du tout : ça ressemble plutôt aux vieilles enceintes audio que bricolait le père d’un pote !


C’est parti pour l’expérience, donc. Evidemment, "l’odorama" a un côté ludique : on ne sait pas quand, et donc quelles sont les odeurs qui sont diffusées. Et si, dans L’Odorat, ça n’a pas une grande valeur ajoutée (même si ça permet de connaître l’odeur de l’ambre gris, cette fameuse substance utilisée dans la fabrication des parfums), ça permet quand même d’imaginer ce que cette technique pourrait apporter, sur des fictions : les parfums de cuisine dans Le festin de Babette, celui, forcément capiteux, de Mrs. Robinson dans Le Lauréat, ou... l’odeur du napalm au petit matin dans Apocalypse now. Cela pourrait être quelque chose, quand même ! 

A la recherche de…Vulva original 

J’ai donc essayé, pendant tout le film, de savoir si les parfums des différents éléments évoqués dans le film étaient diffusés dans la salle. Sans savoir évidemment si c’était bien le cas. Notamment quand le documentaire s’est intéressé à Guido Lessen, le créateur un peu barré de Vulva original, une essence construite à partir des effluves intimes d’une vingtaine de femmes, visant à reproduire l’odeur du sexe féminin préféré par les hommes. Le parfum de chatte parfaite, en somme. Un programme ambitieux. Quand N’Guyen fait sentir Vulva original à un œnologue, à l’aveugle (c’est-à-dire sans lui dire ce que c’est), j’étais donc en train d’humer, très sérieusement, mais un peu mort de rire quand même, l’air de la salle, en me demandant si cela faisait partie des parfums diffusés. Un moment cocasse, donc, pour un plaisir de cinéma inédit. 

Des intervenants passionnants

Au-delà de cet aspect plutôt marrant, L’Odorat se révèle être un documentaire réussi, intéressant, et parfois très émouvant. Sa force résulte notamment du choix des intervenants, souvent passionnants. Avec un vrai coup de cœur pour deux d’entre eux : François Chartier, d’abord. Ancien sommelier et auteur d’un ouvrage ayant inspiré le documentaire (Papilles et molécules : la science aromatique des aliments et des vins), il raconte une dégustation au domaine Ferraton, pendant laquelle le vigneron débouche plusieurs bouteilles d’Hermitage blanc. Des bouteilles de plus d’un siècle (millésime 1870) !! A l’ouverture, il plonge son nez dedans, et défilent alors, à toute vitesse, tous les arômes et parfums qu’a pris ce vin pendant sa lente évolution : la pêche, l’abricot, le fruit exotique, d’abord, c’est-à-dire les arômes qu’aurait eu ce vin si on l’avait ouvert dans sa jeunesse (en 1875, peut-être ??!!) ; puis très vite la cannelle, la muscade, et même des odeurs de brioche à la cannelle de Patrimonio (si, si. De Patrimonio. Ça fait rêver, non ?)  : ceux qu’il aurait pris, débouché quelques années plus tard, pendant son évolution et à maturité... Tout un processus qui peut durer une quarantaine d’années, voire plus, ici vécu en accéléré… en l’espace d’une minute trente. Une expérience extraordinaire, et pour un mec qui aime le vin comme moi, une histoire magique ! 

Grosse émotion, aussi, pour Molly Birnbaum, une jeune journaliste qui pendant plusieurs années a totalement perdu l’odorat, après un accident. Elle raconte à quel point la vie sans odeurs est dure : lorsqu’elle réalise que son ex-boyfriend, qui s’occupe régulièrement d’elle pendant qu’elle est à l’hôpital, n’a plus d’odeur, elle a le sentiment de le perdre définitivement : "Alex was not Alex and that was heartwrenching" ("Alex n’était plus Alex, et c’était déchirant"). Quel meilleur moyen de nous faire réaliser à quel point l’odorat occupe une place essentielle dans nos émotions... L’expression "une vie sans saveur" prend alors tout son sens. 

Au final, L’Odorat est un film avec beaucoup de qualités, qui intéressera surtout les mordus de documentaire, et évidemment, les passionnés de parfums, du goût et de l’odorat… Ah oui, au fait, est-ce que j’ai réussi correctement à identifier les odeurs diffusées ? Oui, après vérification, c’était un sans-faute… Et une confirmation, donc : Vulva original n’en faisait pas partie ! 

Fred Fenster



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