mercredi 15 mars 2017

The Lost City of Z : James Gray au niveau des maîtres

En salles : Ca y est ! Après dix ans de tentatives avortées, James Gray nous livre enfin le grand œuvre dont il rêvait, l’adaptation du roman de David Grann, The Lost City of Z. En seulement six films, il s’est imposé depuis une quinzaine d’années comme l’un des grands héritiers du cinéma classique hollywoodien. Lui manquaient la prise de risque, l’audace, l’exploration. C’est désormais chose faite, avec un brio, une maîtrise et une maturité qu’on n’attendait plus de la part de celui qui nous avait un peu déçus avec son précédent film, The Immigrant. Un tournant majeur dans une œuvre jusque-là dominée par les univers urbains et le polar. Un chef d’œuvre majestueux et tortueux, qui devrait enfin lui ravir les faveurs du grand public pour l’imposer définitivement.


Miracle à l’ancienne

Depuis combien de temps n’avait-on pas vu ça ? Un film épique, une épopée historique, dont le récit s’étale sur plus de 20 ans, de l’Angleterre victorienne aux confins de l’Amazonie, en passant par les tranchées de la Première guerre mondiale ? Le tout filmé en décors quasi réels (non dans la jungle amazonienne, mais en Colombie), en 35 millimètres, sublimé par Darius Khondji à la lumière ? Peut-être depuis Aux sources du Nil, de Bob Rafelson (1991), injustement bien oublié aujourd’hui, je ne vois pas. Dieu sait qu’on pouvait tout craindre de ce film maudit, dont le tournage fut reporté au moins à 3 reprises, et qui a priori ne collait en rien à l’univers urbain et dostoievskien du réalisateur de La Nuit nous appartient ou de The Yards. Et pourtant, le miracle est là : son 6e film est de loin son meilleur, car à la fois le plus audacieux, le plus fidèle à ses préoccupations (la transmission, , et le plus universel dans ses émotions.

Epique et intime
Au-delà de la fresque, James Gray ausculte l’intimité de cet explorateur, Percy Fawcett. D’où les gros plans sur les visages, tourmentés, exaltés, habités, fatigués – signe que l’important n’est pas tant l’épopée elle-même que la quête initiatique de l’explorateur, cherchant à réhabiliter l’honneur bafoué de son père par la société victorienne, et à réconcilier sa quête obstinée d’un ailleurs avec la construction d’un foyer et la transmission de valeurs d’ouverture... Certes, James Gray ne néglige pas les figures imposées : remontées du fleuve, attaques sauvages, discussions philosophiques et politiques, etc. A quoi s’ajoute le doute qui habite le spectateur quant à la réalité même de cette fameuse cité perdue... Et si elle n’était qu’une métaphore ? Sans jamais souligner ses effets, la caméra reste à juste distance de son sujet et de ses sujets, pour venir s’imprimer durablement dans la mémoire du spectateur. Majestueux, vous disais-je.
 


De Visconti à Coppola en passant par Lean
Tout cinéphile qu’il soit, James Gray rend hommage à ses grands maîtres : Visconti, par une scène de bal qui ne déparerait pas dans Le Guépard ; Cimino, par une chasse à courre fébrile, qu’on aurait bien vue dans Heaven’s gate ; Herzog, bien sûr, par la folie qui contamine son héros au fur et à mesure qu’il s’enfonce dans sa quête, à l’instar d’un Aguirre ou d’un Fitzcarraldo, cité le temps d’un passage où l’opéra s’invite dans la jungle ; Coppola, en fin, par la quête filiale, et les horreurs de la jungle, qui rappellent celles d’Apocalypse now. D’un classicisme assumé, sa mise en scène éblouit par ses raccords temporels ou visuels. A l’instar d’un David Lean qui raccorde la flamme d’une allumette au désert d’Arabie, il rapproche dans un même mouvement une ligne d’encre qui s’écoule avec la trajectoire d’un train ; ou les tranchées en baie de Somme avec la jungle amazonienne.

Casting inattendu et impressionnant
Qui pour incarner ce chercheur obstiné ? Charlie Hunnam, le héros de la série Sons of Anarchy. Un choix a priori pas évident, mais finalement payant : car l’acteur britannique – oui, oui ! – en reprenant un rôle jadis dévolu à Brad Pitt puis à Benedict Cumberbatch, fait preuve d’une infinie douceur et d’une obsession à toute épreuve. L’acteur se montre habité de l’intérieur par son personnage constamment en va et vient entre l’Angleterre et l’Amazonie, obsédé par cette cité pré-colombienne, tout en restant tourmenté par sa famille britannique, sa femme et son fils en particulier. Impressionnant.
 
A ses côtés, citons Robert Pattinson, définitivement déglamourisé, hirsute et fidèle compagnon de l’explorateur, juste et étonnant, dans un rôle qu’on aurait pu offrir en d’autres temps à Dennis Hopper. Enfin, Sienna Miller, dans le rôle de l’épouse qui attend au foyer, (rôle finalement proche de celui qu’elle tenait dans American Sniper) parvient à donner chair à un personnage sur le papier passif et sans relief, et qui se révèle in fine la pièce maîtresse de ce destin individuel et de cette réconciliation familiale. Elle est admirable – au point de s’avérer le point central de l’ultime image de cette fresque, image qui renvoie à la première image.

Boucle bouclée visuellement et narrativement – la marque des plus grands films.
 
Travis Bickle
 

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