A lire : Netflix. Un nom qui fait dresser les poils sur les avant-bras ou les cheveux sur la tête. Selon que l'on considère la société de Reed Hastings comme la bienfaitrice des amateurs de films et de séries ou comme la fossoyeuse du cinéma et de la télévision. Dans les débats, aussi passionnants que passionnés, que Netflix suscite, il est parfois difficile de s'y retrouver, entre partis pris, anathèmes, assertions, contre-vérités et arguments fondés. A travers son ouvrage Netflix & Cie, Les coulisses d'une (r)évolution, publié chez Armand Colin, la journaliste Capucine Cousin nous incite à revenir aux sources pour mieux dérouler l'essor de cet acteur incontournable des médias et aborder les grands enjeux liés à son succès.
Premier intérêt du livre, annoncé dès le titre : montrer que Netflix n'est pas une innovation spontanée. L'entreprise créée par Hastings en 1997 est l'enfant rebelle de Blockbuster (location de VHS puis de DVD) et de Napster (partage de fichiers en peer to peer), l'héritier de Spotify (téléchargements légaux par abonnement) et de Moovyplay (location de films via une sorte de disque dur). Ses "ancêtres" utilisent des technologies inédites et inventent des nouveaux usages : la dématérialisation, le streaming, les abonnements, la liberté d'accès aux contenus, les playlists proposés à partir d'algorithmes... Netflix va s'en inspirer et pousser plus loin ces démarches pour devenir le premier distributeur de contenus vidéo via internet en service par contournement, hors fournisseurs d'accès à internet. Over the top.
You down with OTT
A ces (r)évolutions technologiques, commerciales et marketing, s'en ajoute une autre : celle des contenus. Là encore, Netflix n'invente pas la série de prestige au budget digne d'une production hollywoodienne. HBO et consorts ont tiré les premiers. D'ailleurs, dans un premier temps, Netflix s'oriente vers la diffusion et la distribution de contenus, achetant des anciennes séries prestigieuses (Mad Men) ou des films à succès (Twilight), nouant des accords avec les studios pour exploiter leurs catalogues avant de jeter son dévolu sur des nouveaux films présentés dans les festivals.
Et puis, nouveau cap le 1er février 2013, avec la diffusion d'un bloc de tous les épisodes de House of Cards, première production maison. Installation de la branche "studio" dans l'Icon Tower, sur Sunset Boulevard en février 2017. Netflix prend (son) pied à Hollywood, débauchant les plus grands talents du 7e art (David Fincher, David Lynch, Martin Scorsese, Alfonso Cuaron...), obtenant ses premières récompenses, des Oscars notamment. L'ambition est immense : 8 milliards de dollars de budget sont consacrés à la production de 700 contenus, dont 86 longs-métrages.
No Gaule zone ?
Comment résister à ce nouveau géant ? Les studios américains s'organisent, reprennent la main sur leurs catalogues et investissent internet. La concurrence se développe. Amazon entre également dans le game. En Europe, les réactions sont désordonnées, les alliances arrivent trop tard et ne pèsent pas lourd face au grand N. La France adopte la position du village gaulois prêt à défendre bec et ongles l'exception culturelle - ce système où chaque acteur du cinéma et de la télévision participe à la création et contribue à son financement. Les pouvoirs publics montent timidement au front, les FAI et les chaînes de télévision passent des accords, les professionnels du cinéma se divisent. Voilà Netflix privée (momentanément ?) de Festival de Cannes.
Il faut dire que l'objectif avéré d'Hastings est de "remplacer la télévision". Par ailleurs, pas question pour lui de sortir ses films en salle, ce qui obligerait son entreprise à prendre part au financement du cinéma français (via la taxe sur les billets de cinéma) mais aussi à respecter la chronologie des médias et par conséquent, à retarder la diffusion sur sa plateforme des films qu'elle a produits.
Capucine Cousin résume en moins de 200 pages ce phénomène qui pose des questions aussi bien économiques qu'artistiques. Son propos est clair, étayé, ponctué de chiffres éclairants : Netflix, c'est 1 million d'abonnés en 2003, près de 94 millions en 2018, dont 3,5 millions en France (estimation), avec une présence dans 190 pays. Elle évoque la force du système mis en place par Hastings, et notamment son attrait auprès des consommateurs, sans en cacher les faiblesses (forts coûts, marge réduite). Elle pointe les zones d'ombres (on ne connaît pas les audiences des contenus) et donne la parole à des professionnels, tels Olivier Snanoudj (Warner) ou Manuel Alduy (Fox) - que nous avons d'ailleurs également eu le plaisir d'interviewer. Les arguments des pro et anti sont exposés : Netflix participe-t-elle à la création de films qui pourraient difficilement voir le jour ailleurs ? Ou contribue-t-elle à dévaluer la valeur des oeuvres (accessibles pour moins de 10 euros) et à les rendre invisibles car exclues du circuit de distribution traditionnel ? Toutes les questions n'ont pas forcément de réponses mais elles ont le mérite d'être soulevées de manière dépassionnée.
Anderton
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