lundi 18 mai 2020

Michel Piccoli en 11 scènes inoubliables

Artistes : Michel Piccoli nous a quittés. Une perte immense pour le cinéma. Difficile de rendre hommage à son talent sans risquer de passer à côté de grandes interprétations, tant elles sont nombreuses. Aussi ai-je choisi de revenir sur quelques scènes qui m'ont marqué. Elles rendent compte de sa capacité à se fondre dans des rôles très différents, tout en imprimant sa marque unique. Entre colère et folie, douceur et exubérance.



Les colères de Michel

Piccoli, pour moi, c'est le comédien qui sous ses dehors calmes, voire affables, savait jouer la tension qui monte, la colère qui bout puis explose, la folie qui affleure. En un quart de seconde, sa voix douce se transformait en hurlement, son sourire devenait un rire malade. Un truc un peu barge qui le rendait inquiétant en permanence. Enfant, il me faisait un peu peur. En grandissant, j'ai appris à apprécier son jeu d'équilibriste, toujours sur le fil.

Vincent, François, Paul... et les autres (1974) - Claude Sautet
La scène du gigot, où le personnage joué par Piccoli encaisse, tente de maîtriser ses nerfs avant de se déchaîner est typique de son jeu paradoxalement tout en nuances. On la sent venir, sa colère. Regardez comme il nous la fait ressentir. Et cette gueulante finale !


Milou en mai (1989) - Louis Malle
Le sourire gourmand du jouisseur, c'est le souvenir que l'on garde de lui dans ce film. Mais attention, le Milou peut aussi sortir les crocs quand on met en danger son petit paradis terrestre. Je n'ai pas retrouvé la scène où il part en vrille à table (décidément) mais celle où il traite un voisin d'industriel ! Grosse insulte en mai 68.


Le Sucre (1978) - Jacques Rouffio 
Encore une tablée où Michel s'énerve ! Son personnage, Grézillo, parle de lui à la troisième personne et sert à ses convives une plâtrée de quatre vérités qui leur coupe l'appétit. Colère, folie, pousse-café, l'addition !


Les folies de Piccoli

De la colère à la dinguerie, il n'y a qu'un cri chez Piccoli. On en a la preuve avec le pétage de plombs de Grézillo. Si la folie est parfois plus douce, elle reste toujours inquiétante. Autant par la voix et l'attitude que par le physique et le costume.

Que les gros salaires lèvent le doigt (1982) - Denys Granier-Deferre
Barbe à collier, cheveux gominés avec nuque bouclée, costume trois pièces, on voit tout de suite que José Viss est un grand malade. Dans cette séquence, face à Jean Poiret, Piccoli fait un grand numéro, module son ton et ses gestes pour composer un personnage incroyable. Avec une petite gueulante en prime, comme de bien entendu.

 

Le Prix du danger (1982) - Yves Boisset
Frédéric Mallaire est un animateur télé dégoulinant de dégueulasserie. A travers ses grands sourires et ses tirades bouffies de fausse émotion, Piccoli illico nous le rend antipathique. 



La Grande Bouffe (1974) - Marco Ferreri
Revenons à table, une fois de plus. Enfin, au lit. Piccoli qui d'habitude exulte campe ici un Michel qui fait de la rétention anale. Freudien mais pas que. Il en est émouvant, à faire la guerre au pet. Jusqu'à la libération, psychologique, physique et sonore, acclamée par ses amis.



La douceur et le charme

Ce serait injuste de réduire Michel Piccoli à un comédien explosif. Il est maître de la nuance, du charme et de la douceur. Au point d'être complètement crédible en homme qui fait tourner la tête des plus belles actrices : Bardot, Deneuve, Schneider...  

Le Mépris (1963) - Jean-Luc Godard
Scène cultissime. Brigitte Bardot et Michel Piccoli au lit. Tendresse d'amants. Somptueuse partition de Georges Delerue. 



Benjamin ou les mémoires d'un puceau (1967) - Michel Deville
Qu'il est bel homme, Piccoli, en comte à cheval, qui tient tête aux moqueries d'une demoiselle en cage. Catherine Deneuve est sous le charme, nous aussi.



Les nuances

Si "l'explosivité" du comédien est devenue légendaire, son jeu ne se résume pas à des extravagances ou des coups d'éclat. Bien au contraire, Michel Piccoli sait jouer tout en finesse, avec des nuances fascinantes.

Les Choses de la vie (1970) - Claude Sautet
Enfin, un repas sans que Piccoli ne monte dans les tours. Enfin, pas trop. Quel bel échange entre ces deux amants où le comédien et sa partenaire, Romy Schneider, passent par toute une palette d'émotions pour raconter le quotidien d'une histoire d'amour.



Une étrange affaire (1981) - Pierre Granier-Deferre
Ce qui est étrange pour moi, c'est que j'avais oublié ce film. Or, en le revoyant à la télévision récemment, les scènes me revenaient peu avant qu'elles n'arrivent. J'avais vu ce film dans les années 80 et il m'avait marqué : Piccoli y campe un manipulateur, tantôt charmeur, tantôt inquiétant, auquel succombe un Gérard Lanvin, qui a rarement été aussi fragile au cinéma. Nathalie Baye, Jean-Pierre Kalfon et Jean-François Balmer sont tout aussi formidables. Encore un excellent film du sous-estimé Pierre Granier-Deferre.



L'adieu

Habemus Papam (2011) - Nanni Moretti
J'aurai pu choisir une des scènes où le pape fraîchement élu perd son calme, comme Piccoli sait si bien le faire. Mais j'ai préféré la scène finale (donc oui, spoiler), si belle, qui prend une autre résonance aujourd'hui.



En bonus, cette belle interview exhumée par l'Ina et une anecdote sympa de Hubert Saint Macary à propos du tournage de Milou en mai :







Evidemment, comme je l'ai dit, j'ai laissé de côté beaucoup de grandes interprétations, mes souvenirs m'ont spontanément porté vers ces quelques scènes. L'art du comédien a été plébiscité, tant par le public que par les critiques. Il a même été récompensé au Festival de Cannes ou à la Berlinale. Jamais aux Césars, malgré les constants appels d'une partie de la profession et des cinéphiles jusqu'à cette année. Tant pis pour eux. On ne peut pas compresser le talent de Michel Piccoli. 

Anderton


Aucun commentaire: