En salles : Tourné en juin dernier, le nouveau film de Jalil Lespert défraye la chronique avant même sa sortie, en étroite concurrence avec le biopic signé Bertrand Bonnello, Saint-Laurent. Après 24 mesures (2007) et Des vents contraires (2011), Lespert délaisse enfin son goût pour le drame à la française et nous livre avec Yves Saint Laurent un témoignage émouvant.
Dans la course pour la sortie en salle, c’est finalement Lespert qui l’emporte, du moins pour le moment. Face au refus de Pierre Bergé qui détient les droits à l’image d’Yves Saint Laurent, Bonnello retarde le tournage, et préfère éviter le "phénomène Guerre des Boutons" : deux sorties en salles concomitantes. Il y aura donc deux films, deux partis pris.
Yves derrière Saint Laurent ?
C’est effectivement ce que laisse supposer l’affiche où la silhouette de Pierre Niney est griffonnée en noir et blanc, comme dessinée par Saint Laurent en personne. Les premières secondes du film insistent également sur l’homme derrière le mythe, en zoomant progressivement sur "Yves" lorsque le titre apparaît. Un biopic personnel, à l’ambiance intimiste ? En cela, le film surprend et peut décevoir, en s’orientant dans une autre direction. Yves Saint Laurent est bien loin du projet de Coco avant Chanel (Anne Fontaine, avec Audrey Tautou et Benoît Poelvoorde) qui insiste sur la femme derrière le nom, sa position sociale et son rapport aux autres pour éclairer son œuvre. Si Jalil Lespert nous livre l’icône en construction, n’ayant pas encore donné de forme définitive à son univers, il est déjà reconnu comme un "surdoué de la mode".
Yves derrière Saint Laurent ?
C’est effectivement ce que laisse supposer l’affiche où la silhouette de Pierre Niney est griffonnée en noir et blanc, comme dessinée par Saint Laurent en personne. Les premières secondes du film insistent également sur l’homme derrière le mythe, en zoomant progressivement sur "Yves" lorsque le titre apparaît. Un biopic personnel, à l’ambiance intimiste ? En cela, le film surprend et peut décevoir, en s’orientant dans une autre direction. Yves Saint Laurent est bien loin du projet de Coco avant Chanel (Anne Fontaine, avec Audrey Tautou et Benoît Poelvoorde) qui insiste sur la femme derrière le nom, sa position sociale et son rapport aux autres pour éclairer son œuvre. Si Jalil Lespert nous livre l’icône en construction, n’ayant pas encore donné de forme définitive à son univers, il est déjà reconnu comme un "surdoué de la mode".
Le film commence en 1957, Saint Laurent a 21 ans, et travaille chez Dior. Robes d’époques, véritables pièces de musée, croquis à la pelle : le spectateur est fasciné par cette revue de beautés, mais n’a pas accès au processus créatif du génie. Si le film est un biopic, son personnage reste un mythe, avec tout ce que ce mot peut contenir d’inexplicable. Lespert tient le spectateur à distance respectable de son personnage, ce qui nous prive d’une véritable réflexion sur la création, et ne présente de la mode qu’une vision illustrative. Les amateurs seront déçus.
Saint Laurent par Pierre Bergé
Saint Laurent par Pierre Bergé
Ce parti pris de distance est largement soutenu par le narrateur Pierre Bergé, qui nous fait découvrir son amant : il constitue d’emblée un prisme, une vitre par laquelle on admire, ou méprise le jeune prodige. Car Yves Saint Laurent, c’est finalement son histoire d’amour passionnelle avec Bergé, depuis leur rencontre jusque dans les années 70, où la maison sort sa collection la plus célèbre. On assiste ainsi à vingt ans de carrière, une ascension admirable vers la gloire, "le deuil éclatant du bonheur", comme la qualifie Bergé, à propos de son amant. Centré sur leur histoire émouvante, le film présente à la fois un couple mythique et une certaine vision de l’amour. Le couple Niney-Gallienne est tout à fait crédible, et leur histoire paraît progressivement une évidence.
Le choix de Pierre Niney, pour incarner Saint Laurent pourrait ici être remis en question : un jeune homme de vingt-quatre ans, pour interpréter une carrière aussi longue, et une relation avec un homme mûr ? C’est effectivement les critiques que le jeune comédien s’est attiré : Le Figaro regrette par exemple "la carrure sportive et élancée" du créateur, affirmant "qu’il est difficile d'imaginer l'acteur mener avec poigne sa propre maison de couture, alors qu'il ressemble davantage à un étudiant fraîchement diplômé". Ces critiques ressemblent quand à elles à celles que s’est attiré Saint Laurent lui-même, promu à la direction artistique chez Dior : aussi rationnelles, elles manquent cruellement de discernement.
Casting théâtral
"Je ferai de mon mieux, et ce jusqu’au bout, ça, je peux en faire le serment", répond Yves aux journalistes, interrogé sur sa maturité. Fort heureusement, le "mieux" de Pierre Niney est supérieur à celui des acteurs de son âge, et il nous livre une très juste interprétation, qui insiste sur l’extrême timidité du créateur, une sorte d’incompatibilité au monde qui l’entoure. Pour le benjamin de La Comédie Française, "Yves Saint Laurent faisait partie de ces extra-lucides", comme il l’explique lors d’une conférence sur le film. Un homme tellement sensible, intelligent à l’extrême, que la vie quotidienne en paraît insupportable, et devient une véritable douleur. Sous ses traits lisses et son teint pâle, Niney incarne à merveille une sensibilité à fleur de peau, ainsi que les moments de bravoure et de fanfaronnerie du créateur tout aussi égoïstes que ridicules. Le jeune acteur ne minaude pas et se livre en entier, disparaissant tout à fait derrière le personnage. Le phrasé singulier du créateur et ses postures savamment réfléchies sont reprises très justement, mais on pourrait regretter un jeu trop théâtral, qui ne dénote cependant pas vraiment au regard du casting.
Lespert choisit effectivement dans les rangs du théâtre, et plus particulièrement de la Comédie Française, avec Guillaume Gallienne et Adeline D’Hermy. Gallienne déploie par ailleurs bien plus de finesse que dans la comédie, et rend touchant le personnage de Pierre Bergé, relativement froid et moins séduisant que son amant. En choisissant Charlotte Le Bon pour le rôle de Victoire, Jalil Lespert lui donne peut-être la première occasion de présenter autre chose que ses jambes de mannequin, et l’exercice s’avère réussi. Heureusement que Laura Smet est en tête d’affiche, on l’aurait presque oubliée. Les autres rôles secondaires (Adeline d’Hermy, Astrid Whettnall, Marie de Villepin) tissent et parachèvent, comme les petites mains de la haute-couture, la crédibilité du film. Ce casting relativement hétéroclite fonctionne très bien, et module un phrasé travaillé, entourés de costumes d’époques : les années 50 sont en marche.
Un film bien taillé, et sans fanfreluches
Un film bien taillé, et sans fanfreluches
Au point de vue réalisation, Jalil Lespert réussit bien à doser les différents aspects de l’histoire (intérêt historique, parcours personnel, histoire d’amour), créant une dynamique agréable et justifiée. Les ellipses sont réussies et interviennent au bon moment, la narration est claire sans s’appesantir jamais sur un sujet ou une époque. La période choisie est en cela intéressante (même si l’on regrette que le film ne débute pas plus tôt) : on assiste à l’ascension, à la gloire, mais aussi au début de la chute du créateur, malade d’addictions, sans trop insister : on connaît la suite.
Le film ridiculise parfois Saint Laurent sans jamais le donner en spectacle : en étant objectif sur ses défauts, il ne bascule pas pour autant dans la gratuité. Vieilli, malade, le créateur est de plus en plus en retrait dans sa maison de couture, même s’il continue à créer seul tous ses modèles. Dans l’atelier ou les défilés, il s’efface peu à peu, ce que le film retranscrit bien : le personnage se fait de plus en plus absent, dans les scènes ou la composition de l’image, jusqu’à disparaître. Les séquences de défilés sont en cela révélatrices : alors que les premières sont traitées de manière très dramaturgique (on sent le regard de Saint Laurent sur le public, scrutant la moindre réaction), cette focalisation interne cède peu à peu le pas sur une esthétique plus froide et épurée. La dernière scène, où Saint Laurent connaît son plus grand succès avec la collection "russe", est presque filmée comme les défilés de nos jours. Ce choix fait sens au regard du film et de la disparition progressive du personnage, mais semble dommage pour cette dernière scène de gloire, au montage agressif, qui dénote avec l’ensemble du film et constitue un climax relativement caricatural.
Jalil Lespert signe avec Yves Saint Laurent un film tout en finesse, sous de nombreux aspects. Justifiés, la plupart de ses choix artistiques fonctionnent très bien dans la facture du film, qui est à la fois drôle et touchant, sans pour autant basculer dans les bons sentiments. Le tout est d’acheter un billet, et ne pas se laisser refroidir par la bande-annonce tonitruante, qui annoncerait presque le dernier Star Wars. En salle, le film fut suivi d’un court silence avant qu’éclatent les applaudissements.
Anouk
Le film ridiculise parfois Saint Laurent sans jamais le donner en spectacle : en étant objectif sur ses défauts, il ne bascule pas pour autant dans la gratuité. Vieilli, malade, le créateur est de plus en plus en retrait dans sa maison de couture, même s’il continue à créer seul tous ses modèles. Dans l’atelier ou les défilés, il s’efface peu à peu, ce que le film retranscrit bien : le personnage se fait de plus en plus absent, dans les scènes ou la composition de l’image, jusqu’à disparaître. Les séquences de défilés sont en cela révélatrices : alors que les premières sont traitées de manière très dramaturgique (on sent le regard de Saint Laurent sur le public, scrutant la moindre réaction), cette focalisation interne cède peu à peu le pas sur une esthétique plus froide et épurée. La dernière scène, où Saint Laurent connaît son plus grand succès avec la collection "russe", est presque filmée comme les défilés de nos jours. Ce choix fait sens au regard du film et de la disparition progressive du personnage, mais semble dommage pour cette dernière scène de gloire, au montage agressif, qui dénote avec l’ensemble du film et constitue un climax relativement caricatural.
Jalil Lespert signe avec Yves Saint Laurent un film tout en finesse, sous de nombreux aspects. Justifiés, la plupart de ses choix artistiques fonctionnent très bien dans la facture du film, qui est à la fois drôle et touchant, sans pour autant basculer dans les bons sentiments. Le tout est d’acheter un billet, et ne pas se laisser refroidir par la bande-annonce tonitruante, qui annoncerait presque le dernier Star Wars. En salle, le film fut suivi d’un court silence avant qu’éclatent les applaudissements.
Anouk
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