En salles : Dans le paysage dévasté de la comédie française standardisé, aux castings et gags éculés, il arrive des pépites, ciselées, originales, décalées. Grand Froid en fait partie. Ce premier film, signé Gérard Pautonnier, fait preuve d’une singularité qui place son réalisateur, parmi les auteurs de comédies les plus originaux et personnels du moment, aux côtés de Pierre Salvadori, Bruno Podalydès, Cédric Klapisch ou les duos Toledano-Nakache et Delaporte-DeLaPatellière. Dialogues ciselés, situations décalées, humour absurde, travail sur le cadre et le décor, atmosphère inattendue et référentielle, casting impeccable, tels sont les atouts de ce Grand froid, grand coup de soleil sur la comédie française. Décryptage.
Western sous la neige
Une rue centrale. La neige. Deux boutiques se font face, un magasin de pompes funèbres et un bar central transformé en restaurant chinois. Des hommes qui tombent, font face à l’ennui et la solitude. Western sous la neige d’inspiration beckettienne, Grand Froid s’ouvre sur des notes absurdes et mélancoliques, qui convoquent aussi bien le western classique que les situations absurdes et poétiques à la Kaurimaski : une vieille qui trompe son ennui en se faisant coiffer dans le magasin de pompes funèbres, un aquarium qui redonne vie à un homard que l’on croyait disparu depuis plusieurs années, des employés de pompes funèbres qui attendent Godot... Quand soudain...
Road movie et buddy movie
Enfin, un mort doit être enterré, mais à des kilomètres de là. Commence alors un road movie à travers un no man’s land enneigé, mix improbable de la Belgique, la Pologne et la Finlande. Et qui met aux prises deux véhicules : celui des pompes funèbres, et celui de la famille. Prétexte à un périple initiatique qui ne se déroulera en rien comme prévu. D’un côté, le duo d’employés des pompes funèbres, un homme proche de la retraite, qui cherche en vain à écrire son épitaphe, et un jeune novice, qui porte un tout autre regard sur l’existence. Sans oublier un cadavre, qui devient vite bien encombrant. D’un autre côté, la famille du défunt, un couple de retraités, entouré d’un prêtre et deux enfants de chœur, pas si catholiques ! Singularité d’un univers, de situations et de dialogues extrêmement bien écrits à mettre au crédit de l’écrivain Joël Egloff, dont Gérard Pautonnier adapte ici le roman Edmond Ganglion & Fils. Et qui a participé à l’adaptation de son propre roman.
Sens du cadrage et du décor
Le film bénéficie d’une véritable direction artistique, rare dans la comédie française. Et qui parvient à créer un univers visuel fort cohérent et singulier. Proche de la BD et de la ligne claire, Grand Froid fait preuve d’un sens esthétique, d’une science du cadrage et du décor rares dans la comédie française. A l’instar de ce plan, qui, en écran large, plonge sur un lac gelé, entre chien et loup, dans lequel un véhicule s’apprête à s’enfoncer à la verticale. Univers qui tout en se montrant singulier, se nourrit de références aux frères Coen ou à celui d’Aki Kaurimaski, notamment. A quoi s’ajoute une musique signée Christophe Julien, qui s’inspire du blues, participant de l’ambiance à la fois décalée et américanisée de ce buddy-road movie sous la neige.
Casting soigné
Enfin, au-delà de ses qualités plastiques et scénaristiques, Grand froid bénéficie d’un casting extrêmement soigné. Jean-Pierre Bacri creuse ainsi le sillon entamé depuis Au bout du conte, celui de la figure mélancolique et atrabilaire de l’homme arrivé au bout de son existence et qui cherche refuge dans ses souvenirs pour tromper la mort – il est au sommet de son art, dans la lignée de L’étrange voyage de Monsieur Sim. Arthur Dupont, yeux écarquillés, offre le contraste idéal – il ouvre et conclut le film de sa voix off. A leurs côtés toute une galerie de personnages impose leur silhouettes – Olivier Gourmet, Sam Karmann dans le rôle du prêtre inquisiteur et énigmatique, Wim Willaert et Simon André, les deux acolytes miroirs, écoués comme des épaves dans le bar voisin du magasin des pompes funèbres.
Alors, oui, on pourra reprocher au film un certain essoufflement dans son rythme ; un twist que l’on ne révèlera pas ici, qui n’est pas abouti ; ou certains personnages mal assortis – je pense ici à Feodor Atkine. Reste un une formidable réussite singulière et esthétique dans le paysage dévasté et standardisé de la comédie française qu’il faut ici saluer. Vivement le prochain Gérard Pautonnier !
Travis Bickle
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