En Blu-ray : Bien avant Le Bureau des légendes, Eric Rochant avait réalisé un des tout meilleurs films d'espionnage, Les Patriotes (1994), avec Yvan Attal dans le rôle principal. Vingt-cinq ans après sa sortie en salle, Gaumont en propose en vidéo une version restaurée, accompagnée de bonus passionnants.
Le jour de son anniversaire, Ariel annonce à ses parents et à sa soeur qu'il quitte Paris pour Israël. Ce qu'il ne leur révèle pas, c'est qu'il part pour tenter d'intégrer le Mossad. Lors de sa formation, il se révèle être un élément brillant. Deux missions importantes lui sont alors confiées.
Après un premier long-métrage prometteur (Un monde sans pitié, 1989) et un second un peu plus maladroit (Aux yeux du monde, 1990), Rochant prend son temps pour ciseler un scénario sur le monde du renseignement. Davantage inspiré par John Le Carré que par Ian Fleming, il représente avec beaucoup de réalisme le quotidien d'agents secrets qui ressemblent à Monsieur tout le monde. Leurs armes favorites : la persuasion, le mensonge, la manipulation.
Avec une grande maîtrise du cadre et de la mise en scène, qui détonait dans le cinéma français de l'époque, le cinéaste nous plonge au coeur de coups fourrés et tordus, dont il présente l'implacable mécanique et les coulisses. Le spectateur est fasciné par le spectacle des proies patiemment amenées au coeur d'un piège qui se refermera sur elles. Au cours de ses deux missions, Ariel, le bon petit soldat, va progressivement fendre l'armure et laisser les questionnements altérer ses actes jusqu'alors menés sans états d'âme. Yvan Attal est formidable dans le rôle de jeune homme renfermé et déterminé, en contrôle permanent de ses émotions. Il parvient à nous rendre Ariel attachant avec une économie de gestes et de paroles, laissant entrevoir ses failles de manière très subtile : un regard qui se voile un instant, une attitude tout aussi fugace...
J'évoquais la réalisation d'Eric Rochant mais il faut également parler de sa direction d'acteurs, qui fait ressortir le meilleur de son casting. Sandrine Kiberlain, dont la jeunesse et la beauté éclatent à l'écran, interprète une call-girl pleine d'assurance ; Jean-François Stévenin, un pigeon magnifique ; Bernard Le Coq, Maurice Benichou et Emmanuelle Devos, des espions qui évoquent d'abord une troupe de sympathiques comédiens avant de révéler toute leur dureté. Dans le rôle du chef de cette cellule, l'acteur israélien Yossi Banai amène une grande bienveillance tout en laissant planer une menace permanente. Richard Masur (La Porte du Paradis, The Thing) et Nancy Allen (1941, Blow Out) forment pour leur part un couple américain dont on sait que la naïveté provoquera une catastrophe. A noter, dans un petit rôle, la présence d'Hippolyte Girardot, l'acteur principal d'Un monde sans pitié.
La musique de Gérard Torikian apporte également souffle et mélancolie à ce long-métrage qui a conservé toute sa force et sa fascination, plus de décennies plus tard.
La barre haute des légendes
L'édition Blu-ray est complétée par deux suppléments très complets et passionnants qui, me semble-t-il, ont été réalisés pour les dix ans du film. Dans Les Illusions perdues, Eric Rochant et son producteur Alain Rocca reviennent sur la genèse et la production des Patriotes. Ils évoquent l'accueil enthousiaste au Festival de Cannes puis rapidement, les critiques assassines de la presse française et l'échec de la sortie en salle. Un échec évidemment très mal vécu par les protagonistes, d'autant qu'il met fin au cinéma ambitieux vers lequel Rochant veut alors se tourner. Yvan Attal, Sandrine Kiberlain et Jean-François Stévenin apportent témoignent également sur la méthode Rochant et l'aventure mouvementée du film. Dans un deuxième bonus, Rochant et sa monteuse Pascale Fenouillet commentent les scènes coupées, soit parce qu'elles ne fonctionnaient pas bien, soit parce que le film était trop long. De leurs propos se dégage une impression de film inabouti, bancal. Je les trouve sévères. Vingt-cinq ans plus tard, la claque est la même. Les Patriotes est un très grand film.
Anderton
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