A lire : Tom King revisite et malmène des personnages mythiques, Adam Strange dans Strange Adventures et le plus mystérieux des Watchmen dans Rorschach. Deux albums ambitieux dans lesquels le scénariste fait montre de son talent pour mettre en place des récits qui multiplient points de vue et échelles de temps.
Strange Adventures
Adam Strange est un Terrien extra. Un super-héros mais surtout un héros super, adulé du public et dont le livre de mémoires, Strange Adventures, est un best-seller. Il y raconte la guerre contre les impitoyables Pykkts venus envahir Rann-Thanagar, la planète où il est régulièrement téléporté via le rayon Zeta. Or, lors d'une séance de dédicaces, un homme l'accuse de crimes de guerre avant d'être retrouvé assassiné. La popularité d'Adam Strange s'étiole, le doute s'installe malgré le soutien inconditionnel de son épouse, la princesse Alanna. Strange demande à Batman de mener une enquête impartiale pour rétablir son honneur. C'est finalement Mr. Terrific qui s'en charge.
Tom King met en place une double histoire. Sur Terre, au présent, on suit la chute de l'icône et l'investigation scrupuleuse menée par Mr. Terrific. Les zones d'ombre sont étalées au grand jour. Adam Strange perd de sa superbe ; malgré les apparences, son couple commence à battre de l'aile. Superman et Batman s'éloignent de lui alors que la Terre est à son tour menacée par les Pykkts. En parallèle, King entrecoupe ce récit de l'histoire de la guerre de Rann-Thanagar : les Pykkts semblent invincibles et la planète sur le point de succomber. Adam Strange enchaîne les combats, connaît les souffrances de la défaite et de la captivité mais tient bon. Il est le dernier espoir d'un peuple proche de l'annihilation.
Avec cette construction, le scénariste met en place un récit mythique qu'il questionne constamment ou qui, au contraire, vient infirmer le procès médiatique dont Strange est la cible. Le lecteur se pose sans cesse la question : "Qui est Adam Strange ?" Est-ce le valeureux guerrier qui se bat pour un monde qui n'est pas le sien, fédérant les peuples qui l'habitent ? Ou n'est-il qu'un bonimenteur rattrapé par ses mensonges et sa duplicité ? King est aussi à l'aise avec la narration d'une Iliade spatiale old school, dans le droit fil des aventures de Flash Gordon ou John Carter, qu'avec la description de notre société surmédiatisée et marquée par la volatilité de l'opinion publique. Il excelle également à raconter l'intimité d'un couple qui vacille et que l'épouse maintient en vie alors que son mari s'effondre.
Par bien des aspects, Strange Adventures rappelle Mister Miracle. Je trouve cette déconstruction du mythe d'Adam Strange plus réussie car plus accessible : le double récit est moins touffu. Sa lisibilité tient notamment à la bonne idée d'avoir confiée chaque partie à un dessinateur différent : le dessin réaliste et quelque peu inquiétant de Mitch Gerads (qui a travaillé avec King sur Mister Miracle et Sheriff of Babylon) contribue à ancrer l'histoire terrestre de Strange dans la réalité ; à l'inverse, le trait plus classique de Doc Shaner colle parfaitement à la geste rannienne du héros. Les deux styles se marient harmonieusement, et King en joue pleinement. Récits et dessins se répondent d'une planche à l'autre, parfois d'une case à la suivante, mais jamais le lecteur ne perd le fil. Cet imposant album de 432 pages comprend la mise en parallèle du script et des planches dessinées ainsi qu'une galerie de couvertures.
Rorschach
Lors d'un meeting d'un candidat à l'élection présidentielle, les services de sécurité abattent deux individus armés qui s'apprêtaient à tirer sur le politicien. L'une est une jeune femme déguisée en cowgirl et surnommée Kid, l'autre Rorschach. En tout cas, un homme qui en porte le masque et le costume. Un policier mène l'enquête. On découvre qui formait le duo : une fille élevée dans les thèses complotistes par son père qui l'a entraînée à devenir une experte des armes à feu ; un vieux dessinateur de BD aigri. Comment en sont-ils arrivés là ?
Tom King plante son récit 35 ans après celui de Watchmen. La première difficulté pour le lecteur est de se remettre dans le contexte de l'album mythique d'Alan Moore et Dave Gibbons. Je ne l'ai pas relu depuis un bout de temps et je suis certainement passé à côté de certaines références, même si King revient ici ou là sur certains points de l'histoire. Dans le fil du travail de Moore, il aborde l'un des personnages les plus cultes du roman graphique à travers une enquête (Rorschach enquêtait lui-même sur l'assassinat du Comédien dans Watchmen). Et cette investigation s'avère complexe. Le scénariste entretient d'ailleurs cette complexité en fusionnant passé et présent. Dans les lieux qu'il visite, l'enquêteur discute avec Kid. Dialogue avec une morte mais aussi monologues du limier solitaire.
La construction des planches est brillante. Les cases forment un puzzle qui illustre la complexité de l'enquête... et du récit, dense, touffu. J'avoue m'y être parfois perdu, tout en appréciant l'éclairage que King donne sur notre société actuelle, avec ses politiciens populistes et ses citoyens trop crédules et rongés par la haine. Le dessin élégant de Jorge Fornés contribue à apporter de la lisibilité à l'ensemble en même temps qu'il nous plonge dans une ambiance inquiétante et parano qui rappelle celles des Trois jours du Condor et de Zodiac. Rorschach requiert une lecture exigeante. L'album intègre également une galerie de couvertures ainsi que des pages de croquis.
Une fois de plus, Urban Comics nous gâte avec ces éditions somptueuses de comics, qui font honneur à notre bibliothèque.
Anderton
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