En DVD et Blu-ray : C’est peut-être devenu avec le temps un cliché, mais force est de le constater : les Monty Python n’ont rien inventé... Ou plutôt, n’avions-nous pas suffisamment notre regard averti pour repérer dans ce chef d’œuvre d’humour non-sensique et absurde qu’est Brancaleone s’en va-t-aux croisades (Brancaleone alle crociate, 1970), pour la première édité en DVD chez ESC Editions, les prémisses ce qui allait faire la gloire des comiques britanniques. En marche avec Brancaleone !
Picaresque et truculent
De quoi s’agit-il ? Du parcours picaresque d’une armée de bras cassés et laissés pour compte menés par un chevalier d’armée morte haut en couleurs, en partance pour Jérusalem. Périple qui donnent autant d’occasion de saynètes et de sketches écrits aux petits oignons, entrecoupés de cartons illustrés absolument magnifiques – tout comme le générique animé qui introduit le film. Inventif, burlesque, truculent, le film doit beaucoup à ses scénaristes et dialoguistes, qui sont allés jusqu’à constituer un langage en propre, à partir d’expressions latines, romaines, françaises ou régionales. Et même des vers et des alexandrins !
Pour Vittorio Gassman, en Don Quichotte sans Sancho
Pour les énoncer avec éloquence et truculence, qui d’autre que Vittorio Gassman ? Avec Brancaleone, Gassman tient enfin son grand rôle populaire. Car jusqu’au début des années 60, il était marqué par le drame et le théâtre. C’est Mario Monicelli qui lui donne le premier l’occasion de s’exprimer dans la comédie, avec Le Pigeon (1958) Très vite, Dino Risi exploite la vis comica de l’acteur : grandiloquente, énorme, dévorante. Qu’on se souvienne de L'Homme aux cent visages (Il Matamore, 1959), mais surtout du Fanfaron (1962). En 1966, alors qu’il pense à Alberto Sordi, Mario Monicelli confie à Vittorio Gassman le rôle principal de L’Armée Brancaleone, (1966) farce picaresque moyen-âgeuse qui rencontre un tel succès que le duo se reforme quatre ans plus tard avec Brancaleone s’en va-t-aux croisades. Film qui ne sortira en France qu’en 1977, suite à son grand prix remporté lors du (feu) Festival d’humour de Chamrousse. Don Quichotte des causes perdues, Gassman y déploie une énergie, une grandiloquence et une démesure qui confinent au génie.
La surprise Mario Monicelli
Pour s’y déployer, il fallait le talent de Mario Monicelli (1915-2010). Surtout connu pour Le Pigeon et Mes Chers amis, c’est également le réalisateur de ces fleurons de la comédie italienne que sont La Grande Guerre (1959), Nous voulons les colonels (1973) et Un bourgeois tout petit, petit (1977). Avec Brancaleone, on retrouve le prix de son cinéma : son attention aux petites gens, sa volonté de dénoncer sur un ton mezza voce la société patriarcale, le peu de place réservé aux femmes, son souci démocratique de laisser sa chance à tous ses personnages, son sens de la dérision. Pêle-mêle, cette armée regroupe un bébé, une sorcière, un estropié, un nain, et quelques monstres… Thématiquement, on n’est pas loin là du syncrétisme de Clint Eastwood dans Josey Wales hors la loi…Premier motif de surprise !
Second motif de surprise : Monicelli se révèle là un grand cinéaste formaliste : outre le soin apporté aux décors et à la lumière – signée Carlo Di Palma, quand même ! – il n’hésite pas à multiplier les clins d’œil humbles et malicieux à ses pairs internationaux, unanimement célébrés alors : Akira Kurosawa, Luis Bunuel, Ingmar Bergman. Le final est à ce titre de toute beauté, et envoie le film vers des sommets allégoriques et oniriques absolument inattendus de la part du réalisateur.
Nul n'est prophète...
Autre titre édité par ESC Editions : Le Prophète (Il Profeta, 1968). Une association Vittorio Gassman-Dino Risi (avec Ettore Scola au scénario !) qui était inaccessible en France. L'attente était grande tant le duo nous a comblés avec Le Fanfaron ou Parfum de femmes. Et l'histoire était alléchante : un cadre, lassé par la vie moderne, se fait ermite dans les montagnes de la région romaine ; débusqué par une équipe de télévision, il devient un phénomène national. Le retour à la civilisation permet à Risi de moquer les travers de la société : consumérisme exacerbé, omniprésence de la télévision, omnipotence des élites (politiques, économiques, religieuses, militaires), vulgarité partout. Et le cinéaste moque également la contre-culture hippie tout aussi superficielle que le système qu'elle entend dépasser.
Bref, il y avait du potentiel. Gros succès dans les salles italiennes mais déception de Risi, Gassman et Scola devant le résultat final, comme l'explique dans un bonus un historien du cinéma. Et on est d'accord avec eux. Le film dénonce de manière trop convenue et manque finalement de mordant. Certes il y a bien quelques séquences réussies, quelques gags marrants mais l'ensemble manque de finesse. Et puis, Gassman est trop contraint dans le rôle de l'ermite : il joue une sorte de sage, lui qui excelle à interpréter les fous. Ce n'est que vers la fin qu'il a la possibilité de retrouver la roublardise et l'emphase que l'on apprécie tant chez lui. Cette rareté s'avère un peu ratée même si Le Prophète intéressera les fans de cinéma italien.
Coup de chapeau à ESC Editions
Beau travail de la part d’ESC Editions qui s’apprête à livrer une dizaine de titres issus des comédies italiennes des années 60 et 70 jusque-là inédits en France en vidéo. Une aubaine pour les cinéphile : redécouvrir quelques-uns des fleurons de ce genre qui a fait les beaux jours du cinéma italien, aux côtés de ses grands maîtres Fellini, Antonioni ou Visconti, et en redécouvrir certains complètement tombés dans l’oubli. Ainsi, une première vague, sortie le 28 mars, contient, outre ce Brancaleone à acquérir d’urgence, Le prophète, donc ; Moi, moi, moi et les autres, le dernier film d’Alessandra Blasetti et Bluff, de Sergio Corbucci. Suivront deux prochaines vagues, en juin et septembre prochains, avec, entre autres, Belfagor le Magnifique d’Ettore Scola, Canard à l’orange avec Ugo Tognazzi et Les Russes ne boiront pas de Coca-Cola, de Luigi Comencini avec Nino Manfredi.
Travis Bickle avec Anderton
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