En DVD et Blu-ray : Voici un film qui avait toutes les raisons de mordre la poussière mais qui a finalement rendu gaga le public par une sorte de magie. Le miracle de Bohemian Rhapsody tient autant à son sujet (la carrière mouvementée d'un groupe aux chansons cultes, emmené par un chanteur charismatique) et à l'interprétation de Rami Malek qu'à la capacité de l'équipe du film, sous pression, à surpasser écueils et polémiques. La sortie en vidéo nous donne l'occasion de revenir sur un étonnant phénomène.
Another one bites the dust
Trop scandaleux. Film maudit, Bohemian Rhapsody ? Disons que sa gestation a été longue (huit ans, quand même) et douloureuse. Stephen Frears a été un temps pressenti pour réaliser le film, avec Sacha Baron Cohen dans le rôle de Freddie Mercury. L'interprète de Borat voulait en faire une oeuvre "scandaleuse" qui présentait sans fard l'homosexualité du chanteur et multipliait "les scènes de nudité sans fin", a expliqué à Vulture le réalisateur, en indiquant "imaginer que Freddie Mercury aurait approuvé". Le comédien visait une qualification R (au lieu du PG-13 du film final). Problème : les membres du groupe encore en vie, notamment Brian May et Roger Taylor, visaient une approche plus "conventionnelle" afin de préserver "la postérité" de Queen. Exit donc Sacha Baron Cohen, qui qualifiera plus tard le guitariste d'"incroyable musicien" mais "pas [de] grand producteur de cinéma". Ce à quoi le batteur du groupe a répondu que SBC n'avait jamais pris le projet et Freddie Mercury au sérieux, comme le relate NME.
Témoignages accablants. Stephen Frears quitte également le projet. Et qui débarque ? Bryan Singer, avec l'approbation de Queen. Mais le cinéaste est rattrapé par des accusations d'agressions sexuelles sur mineurs sans qu'aucune condamnation soit prononcée. Reste que le bonhomme est connu par ailleurs pour son comportement instable - coups de gueule, abandons temporaires de tournage... Les patronnes de la Fox le mettent sous stricte surveillance mais Singer retombe dans ses travers et en vient aux mains avec Rami Malek. Il est alors viré avant la fin du tournage, remplacé par Dexter Fletcher. Et une fois le film sorti, de nouveaux témoignages accablants sur les pratiques sexuelles de Singer sont publiées dans la presse. Brian May aura beau s'embourber avec le respect du principe d'innocence (avant de préciser qu'il ne s'agit pas d'un soutien au réalisateur), Singer devient un paria. Son nom disparaît des discours lors des cérémonies de récompenses.
Polémiques. Cela aurait pu faire beaucoup pour un seul film mais une fois montré en salle, Bohemian Rhapsody est aussi critiqué pour la liberté prise avec la réalité, entre omissions et inexactitudes (cf l'article de Première), et surtout pour sa vision trop édulcorée de la vie de Freddie Mercury, et notamment de ses excès et ceux des autres membres. On ne peut d'ailleurs s'empêcher de se demander si, en présentant un artiste torturé avec une tendance à l'autodestruction, Singer n'a pas chercher à parler de lui. Les faits qui lui sont reprochés sont cependant autrement plus graves que les frasques du groupe. Autre polémique : dans une interview, Rami Malek refuse de voir en Mercury une icône gay mais juste une icône. Certains représentants de la communauté LGBTQ défendent toutefois les propos de l'acteur et l'approche du film.
Critiques techniques. L'esthétique du film suscite également quelques commentaires négatifs. La photo abuse parfois de lumière dorée, "magique", comme lors du repas chez les parents de Mercury. Mais c'est surtout le montage du film, récompensé par un Oscar, qui suscite l'ire de certains spectateurs - florilège sur Twitter ici, encore ici, là et encore là.
A kind of magic
Toutes ces casseroles avaient de quoi faire sonner faux le film. Et pourtant, la magie opère. Bohemian Rhapsody rapporte près de 870 millions de dollars dans le monde, pour un budget de 52 millions de dollars, selon Box Office Mojo. Un record pour un biopic musical.
Icônes et cultes. Le succès du film repose évidemment sur la popularité du groupe et de ses tubes. A moins d'être complètement insensible à la musique du quatuor, difficile de ne pas vibrer dès les premières notes de chansons devenues cultes. Effet nostalgique garanti pour les contemporains de Freddie & co, (re)découverte en contexte pour les plus jeunes spectateurs. La carrière du groupe, les frasques de ses membres n'étaient pas forcément bien connues du plus grand nombre, quand elles n'étaient pas oubliées. Et pour le coup, le film met également un coup de projecteur sur la créativité de ce rock band atypique. Quant à la vie de Mercury, elle nous touche d'autant plus qu'elle s'achève prématurément.
Print the legend. Oui, la vérité est embellie, les excès juste évoqués mais le film se veut grand public. Juste un peu sulfureux, en aucun cas trash. Je vais faire une analogie, qui n'est surtout pas une comparaison : avec Amadeus (1984), Milos Forman a également pris beaucoup de distance avec la réalité, et subi alors le feu des critiques de vénérables historiens. Cette "liberté créative" est d'ailleurs l'apanage de la plupart des biopics. Le film n'est pas un documentaire. Bohemian Rhapsody surfe sur la légende et ainsi, la conforte.
Du rythme. La mise en scène, enlevée, contribue à la réussite du film. Difficile de savoir qui de Singer ou de Fletccher a réalisé telle ou telle séquence. Le spectateur est emporté par un tourbillon d'images, de musiques et d'émotions.
Incarnation. Rami Malek n'a pas volé ses récompenses, dont l'Oscar du meilleur acteur. Sa transformation (qui n'est pas imitation) en Freddie Mercury est impressionnante. Il apporte beaucoup de nuances et de délicatesse au personnage, ce qui le rend très émouvant jusque dans ses excès et contradictions. Le reste du casting fait le job, avec une mention spéciale à Mike Myers et Aidan Gillen.
20th Century Fox signe une édition Blu-ray avec plusieurs bonus : la version longue du concert Live Aid ainsi que sa re-création, la transformation de Rami Malek, l'aventure du film... Malgré quelques réserves et questionnements, j'ai donc aimé Bohemian Rhapsody. C'est aussi l'intérêt du film, presque malgré lui : au-delà du spectacle, il nous amène à nous poser des questions sur l'art et l'artiste, qu'il soit devant ou derrière la caméra.
Anderton
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