jeudi 27 juin 2013

La Dernière corvée : loin d'en être une !


En DVD : Vingt-cinq ans après sa mort, Hal Ashby connaît un très fort regain d'intérêt, ravivé par l'ouvrage qu'avait consacré Peter Biskind au Nouvel Hollywood. Arrivé un peu par hasard au cinéma, ce personnage – il faut voir son look hippie pour y croire ! - , élevé chez les Mormons, a débuté comme monteur, notamment de Norman Jewison – Thomas Crown, Dans la chaleur de la nuit, c'est lui ! - avant de signer une quinzaine de films typiques du Nouvel Hollywood. Et dont les sommets furent Harold et Maude, Shampoo, En route pour la gloire, Retour et Bienvenue Mister Chance. Et donc, cette Dernière corvée (The Last Detail), réalisée en 1972.

Typique du style Ashby

Errance sous forme de road-movie urbain, personnages en lutte contre l'autorité – représentée ici par la Navy – quête d'une harmonie entre les aspirations libertaires et l'intégration dans la société, La Dernière corvée contient tous les thèmes chers à Hal Ashby. Et si on peut regretter qu'il ne possède pas le style fiévreux et le tempo d'un Cassavetes – on pense plus d'une fois à Husbands - , le cinéaste, au-delà des apparences, parvient à imposer un vrai style : celui d'un homme engagé, mais dont la révolte sourd lentement, évite la colère et l'emportement ostentatoire. Plutôt que de dénoncer frontalement l'absurdité de la condition militaire, Hashby le fait par petites touches, dans une approche behaviouriste et non-discursive. Pas de grands discours, mais des actes et des gestes. D'où peut-être sa lente et difficile acceptation dans le cercle des grands cinéastes du Nouvel Hollywood.

Génération désenchantée

Autre point caractéristique de son style : la tonalité désenchantée du film, sorte de tragi-comédie, qui alterne les scènes de pure drôlerie avec d'autres plus contemplatives, reflets de la tristesse d'une génération qui se sait perdue, avec pour seul horizon la prison ou le Viet Nam. En décidant de tourner en plein hiver, Ashby utilise à merveille les décors enneigés et perdus dans la brume pour rendre compte des désillusions qui habitent ses personnages. En ménageant des scènes quasi documentaires, voire improvisées – dont une beuverie nocturne dans un parking – avec des scènes très écrites – scénario de Robert Towne, futur scénariste de Chinatown – il impose là encore une patte, un style bien à lui. Découvrez le trailer de l'époque ci-dessous.

Jack Nicholson au sommet

Dernier détail : les acteurs. Randy Quaid, qui venait de passer à la postérité grâce à son rôle dans La Dernière séance un an plus tôt, compose un extraordinaire bleu, sorte de grand enfant à la Lennie de Steinbeck, perdu dans les seventies. Face à lui, un duo hors pair : Otis Young, qui endosse le rôle du vieux sage, chargé d'exécuter les ordres, fussent-ils cruels et injustes ; et Jack Nicholson, flamboyant, charismatique, à la fois grand frère et totalement puéril. Un acteur alors au sommet de son talent, qui enchaîne les rôles les plus emblématiques de son époque (Easy Rider, Five easy pieces, The King of Marvin Gardens, bientôt Chinatown et Vol au-dessus d'un nid de coucous) et dont la prestation irradie tout le film, sans jamais écraser les compositions de ses partenaires. Prix d'interprétation à Cannes en 1972.

Dans ce monde très masculin, le film donne également l'occasion de redécouvrir dans de petits rôles secondaires deux actrices symboles de la fin des années 70, Nancy Allen, future Madame De Palma, et la très gracile Carol Kane (The Mafu Cage, Annie Hall).

Dommage pour les bonus

Très beau travail de Wild Side de remettre sur le devant de la scène l'oeuvre de ce cinéaste actuellement en voie de réhabilitation. On peut cependant s'étonner que les bonus soient aussi light, (une courte interview de Peter Biskind) et ne permettent pas d'appréhender plus en profondeur la carrière d'Ashby, ou la spécificité de ce film par rapport au Nouvel Hollywood. Ce ne sont pas les spécialistes qui manquent en France !

Travis Bickle


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