jeudi 18 juillet 2013

Brion (2/3) : "A Hollywood, il y avait une alchimie qui me dépasse"


A lire : A l'occasion de la sortie de son excellent livre Les Secrets d'Hollywood (La Librairie Vuibert), Patrick Brion, qui anime le Cinéma de Minuit le dimanche sur France 3, a accordé un long entretien téléphonique à Cineblogywood. Découvrez la deuxième partie de cette interview sans langue de bois.

Vous évoquez dans votre ouvrage les tournages d’Autant en emporte le vent ou du Magicien d’Oz, qui ont été réalisés par plusieurs metteurs en scène. Est-ce à dire qu’à l’âge d’or d’Hollywood, contrairement à la théorie de l’auteur chère aux Cahiers du cinéma, il y avait des films de producteurs et des films de cinéastes ?

J’ai rencontré Howard Hawks il y a fort longtemps. Je travaillais sur sa filmographie et je lui ai demandé s’il y avait des films auxquels il avait collaborés sans les signer ou l’inverse. Et il m’a répondu : "C’est une question idiote !" Pour lui, cela dénotait d’une méconnaissance complète de la manière dont on tournait les films à Hollywood. Les artistes à cette époque étaient sous contrat ; ils étaient payés - royalement d’ailleurs - à la semaine. Cela veut dire qu’ils venaient travailler tous les jours aux studios. Ils se voyaient quotidiennement, déjeunaient ensemble… 




Quand un réalisateur tombait malade, il se faisait remplacer par un de ses camarades. Ils s’échangeaient parfois les projets. Sur certains films, le réalisateur était prévenu le vendredi pour un tournage qui débutait le lundi suivant. Personne ne trouvait cela anormal. De même pour les scénaristes : si par exemple il fallait rédiger une scène d’ambiguïté, on faisait appel à Wilder. Seuls deux ou trois noms apparaissaient au générique. Pour Reckless [Imprudente jeunesse, 1935, NDLR], réalisé par Victor Fleming, une douzaine de scénarios a été écrite en deux-trois ans par une multitude de scénaristes. 
Prenez Young Mister Lincoln [Vers sa destinée, 1939, NDLR], trois mois avant le tournage, la réalisation est confiée à David Butler et le rôle principal à Tyrone Powers. Mais le producteur, Darryl F. Zanuck, en parle à Henry Fonda : ce dernier hésite, fait des essais maquillage et finalement, se trouve très bien. Exit Powers ! Quinze jours avant le tournage, Zanuck se dit que finalement Butler, qui est un spécialiste des comédies, ne fera pas l’affaire. Il contacte John Ford qui devait être sur son yacht et Ford débarque au dernier moment. Or Young Mister Lincoln est certainement l’un des films les plus fordiens de Ford ! Il y avait une alchimie qui de temps en temps me dépasse. 


Vincente Minelli [photo d'ouverture, NDLR] était la preuve qu’on pouvait être un auteur en tournant ce que les studios vous donnaient à tourner. C’est d’ailleurs le rôle des producteurs : donner les films adéquats aux bons réalisateurs. A sa grande époque, la MGM employait 5000 personnes quotidiennement. Dès qu’une pièce de théâtre ou un roman était sur le point de paraître, le département Lecture en récupérait les bonnes feuilles puis faisait un résumé qui était adressé à tous les producteurs du studio. Si l’un d’entre eux était intéressé, les droits étaient achetés et il choisissait le réalisateur, les acteurs…
 
Ces "packages" d’acteurs et de réalisateurs ont ensuite été proposés par les agents artistiques…
 
Oui, car la législation américaine oblige les studios à se séparer de leurs activités de distribution et d’exploitation. A cela s’ajoute la concurrence de la télévision. Les studios n’ont plus d’argent. Les agences artistiques montent alors des projets en imposant des acteurs et des réalisateurs dont elles représentent les intérêts. Le premier cas, c’est MCA qui coproduit Winchester 73 avec James Stewart, qui est sous contrat. Alfred Hitchcock aussi passe sous le contrôle de MCA, qui fait des productions TV : Hitchcock gagnera des fortunes, notamment avec Alfred Hitchcock Présente, l’une des meilleures séries TV de tous les temps. Les films de cette époque sont plus inégaux : pour Le Rideau déchiré, MCA impose le package Hitchcock-Newman-Andrews mais le couple ne fonctionne pas et Hitchcock se désintéresse du film, malgré quelques scène marquantes. Pour échapper à MCA, il tournera à Londres Frenzy, qui alors là est très hitchcockien !



Finalement, vous montrez qu’Hollywood est une industrie qui permet à des artisans de s’illustrer et que le collectif n'étouffe pas les individualités, au contraire !
 
A Hollywood, le cinéaste joue le rôle du chef d’orchestre et pas du violoniste soliste. A chaque fois que j’ai rencontré des cinéastes américains, j’ai été étonné par la modestie de leurs propos. Souvent ils expliquaient un échec en disant que le film n’était pas réussi ou qu’il n’avait pas su toucher le public. En France, un cinéaste dira que c’est la faute au producteur !
Quant aux producteurs hollywoodiens, ils étaient animés par une grande curiosité : ils voyaient deux à trois films par jour. Le matin ou dans la journée, ils voyaient les rushes des films qu’ils produisaient et le soir, ils voyaient un autre film produit par quelqu’un d’autre et très souvent un film étranger ! Cela leur permettait de découvrir des sujets intéressants et de mettre la main sur des artistes. Ils ne vivaient pas en autarcie, entre eux.


Lisez la première partie et la troisième partie de l'entretien de Patrick Brion.

Anderton

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