lundi 1 juillet 2013

Contre-enquête : un Lumet à redécouvrir


En DVD et Blu-ray : Juifs, blacks, blancs, WASP, latinos, gays, Irlandais, Porto-Ricains, drogués, prostitué(e)s, flics, voyous, politiciens, avocats, hommes, femmes... Revoir Contre-Enquête (Q&A, 1990) aujourd'hui, c'est d'abord ça : mesurer à quel point Sidney Lumet avait su restituer la réalité sociologique d'une ville, de toutes ses composantes. Et de toutes ses tensions. Car ce que révèle avant tout le film, c'est la désagrégation du lien social, l'arrivée du communautarisme. Rien que pour ça, l'un des films les plus méconnus de Lumet mérite le coup d'oeil.


Clôture de la trilogie new-yorkaise

Mais pas que : car revoir Contre-Enquête, c'est mesurer à quel point nous manquait l'épilogue à la doublette Serpico-Le Prince de NewYork. Même lieu – Big Apple – même thématique – dénonciation de la corruption au sein de la police – même genre – le polar. Mais le regard de Lumet se fait à la fois plus macroscopique et plus désabusé : en incluant les politiques et les juristes, il brosse un portrait désespéré du système politique et judiciaire américain, tout aussi gangréné par la corruption que la police. Et par contre-coup, instille une vision désabusée du melting pot, retranché derrière ses communautés, car également gangréné par les conflits d'intérêt, les ambitions et la corruption.

Vigueur narrative

C'est également l'occasion de vérifier combien Sidney Lumet, loin de l'image du classique qui traîne parfois avec une pointe de mépris sur son compte, est un immense cinéaste. La preuve ? Plus de 20 ou 30 ans après, ses films restent d'une vigueur narrative et cinématographique incontestable. Narrativement, car en s'appuyant sur un ouvrage d'Edwin Torres - un monsieur qui en connaît un rayon , ancien l'assistant du procureur général au Tribunal de New York, et également auteur de l'ouvrage dont s'inspirera Brian de Palma et David Koepp pour signer leur chef d'oeuvre L'Impasse (Carlito's way) – il livre une intrigue à la fois extrêmement limpide et foisonnante de personnages. Sans qu'on ne s'y perde jamais.
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Comme un goût de Michael Mann

Cinématographiquement, ensuite : sur un canevas somme toute classique – et donc, intemporel – d'une enquête menée par un jeune procureur qui a pour cadre une brigade de la police de New York – Lumet alterne les purs moments d'action avec des scènes de vie quotidienne. D'où un sentiment de vérisme rarement atteint. Epaulé par son fidèle chef op Andrzej Bartkowiak , il met en valeur les ombres et les obscurités de la ville et brosse le portrait d'une véritable jungle urbaine qu'on n'est pas près d'oublier. 

Sa science du cadre lui permet également de brouiller les frontières entre le bien et le mal, les flics et les voyous, à l'instar d'une scène d'interrogatoire éblouissante, digne d'être étudiée par tout cinéphile dans les moindres détails. Et par moments, on songe même à Michael Mann par la manière avec laquelle Lumet suspend l'action, atmosphérise son polar, pour le plonger dans une profonde mélancolie.

Acting !

Enfin, même pour ses plus ratés – Le Lendemain du crime, Piège mortel – voir un film de Lumet, c'est être certain d'avoir affaire à de saisissantes compositions d'acteurs. Et là, on est servi : que ce soit Nick Nolte en vieille baderne irlandaise corrompue, fascinante et méprisable ; Timothy Hutton, en jeune procureur chevalier blanc propre sur lui, et qui peu à peu se défait de ses illusions ; Armand Assante, en patron de la pègre, ironiquement seul représentant d'honneur dans ce monde corrompu ; ils livrent tous des compositions à l'image de leur rôle, flamboyantes, ternes ou ambiguës. Sans oublier tous les seconds rôles, plus vrais que nature, dans lesquels on relèvera entre autres Luis Guzman et Patrick O'Neal

Family business


Enfin, chez Lumet, tourner, c'est toujours une histoire de famille : outre le fait que le cinéaste y fait jouer sa propre fille Jenny dans le seul rôle féminin du film, qui s'avèrera central, voire salvateur – on admirera la façon qu'a eue Lumet de suspendre son final... - , on ne peut s'empêcher de lire ce film comme la quête paternelle d'un jeune proc, à la fois tiraillé par la figure d'un flic irlandais haut en couleurs, un politicien aux ambitions nationales et un voyou porteur de valeurs d'honneur et d'intégrité....Comme de nombreux films de sa filmographie, de A bout de course à 7h58, en passant par Family Business.

A réévaluer d'urgence, donc, dans une belle édition Carlotta, accompagnée d'un entretien avec Jean-Baptiste Thoret, qui, entre autres points, compare le livre au film pour mieux réévaluer le travail de Lumet ; et replace Contre-Enquête dans la filmographie du cinéaste et dans l'histoire du cinéma américain contemporain, pour lui redonner tout le lustre qu'il mérite.

Travis Bickle

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