mardi 15 mars 2022

"Notre-Dame brûle est un film comme le cinéma français n'en fait plus" - INTERVIEW

Notre-Dame brûle Jean-Jacques Annaud Stéphane Boudsocq CINEBLOGYWOOD

A lire : Journaliste cinéma à RTL, Stéphane Boudsocq a cosigné avec Jean-Jacques Annaud Notre-Dame brûle, Le carnet de bord du film, publié chez Gründ. Un ouvrage passionnant et richement illustré qui nous plonge au cœur de la création d’un film hors norme, porté par un cinéaste enthousiaste, curieux et méticuleux. Nous avons demandé à Stéphane Boudsocq de revenir sur ces deux années d'aventure cinématographique.


Cineblogywood : comment vous êtes-vous retrouvé à suivre le tournage de Notre-Dame brûle ?

Stéphane Boudsocq : Pendant le premier confinement, au printemps 2020, nous réalisons sur RTL une série de grands entretiens avec des artistes qui nous racontent leur quotidien en cette période particulière. J'appelle Jean-Jacques Annaud parmi quelques autres. A la fin de l'entretien, je lui demande sur quoi il travaille pour l’après-confinement et il me répond qu’avec Pathé, il va réaliser un film sur l'incendie de Notre-Dame, une fiction qui impliquera la reconstruction de la cathédrale en studio. Je me dis : voilà un projet quand même assez fou, assez ambitieux et qui peut faire partie des films qui, au moment venu, ramèneront le public dans les salles. A la fin du confinement, je rappelle Jean-Jacques et je lui dis : "Ecoute, ce qui serait vraiment super, c'est que je puisse venir assister à la préparation du film, au repérage et au tournage pour le compte de RTL. Mais en plus, relançons notre idée de bouquin sur tes films qui traîne depuis maintenant huit ans, qui a failli se faire douze fois et qui ne s'est jamais fait". Il a accepté et je suis allé voir les éditions Gründ, qui ont dit oui tout de suite.

Notre-Dame brûle est un projet hors norme dont on sent bien que pour Jean-Jacques Annaud et Jérôme Seydoux, le co-président de Pathé qui lui a soumis l’idée, il résonne également à un niveau émotionnel, voire spirituel. Avez-vous ressenti cette même réaction auprès du reste de l’équipe, comédiens, techniciens… ?

Lors de la phase de préparation des décors, je suis allé à la Cité du cinéma, à Saint-Denis, où se trouvaient différents ateliers chargés de réaliser les maquettes en bois, en plâtre, et là, j'ai vu des artisans extrêmement impliqués. Tous partageaient le sentiment de participer à un film - c'est toujours couillon de dire ça - comme le cinéma français n’en fait plus beaucoup. D’abord parce que c’est une production très chère. Dès le départ, Jean-Jacques et Pathé avaient la volonté de ne pas recourir entièrement au numérique mais de construire pour détruire. Si vous repensez à Stalingrad, au Nom de la rose, à L’Amant, enfin à tous ses films, c’est ce qu’Annaud a toujours fait. Et donc j’ai senti auprès de l’équipe une ferveur qui dépassait même le cadre religieux. Ce que je veux dire, c’est que Notre-Dame, c'est un morceau de patrimoine, qu'on soit croyant ou pas. Jean-Jacques a quand même fait recréer la charpente à l'identique par des artisans qui travaillent sur le chantier de Notre-Dame. Idem pour les échafaudages qui ont été reconstruits aux studios de Bry-sur-Marne par les ouvriers qui les avaient montés sur la cathédrale [dans le cadre de sa rénovation, NDLR]. Cela veut dire que tous ceux qui ont participé à la rénovation de la cathédrale avant et après la catastrophe font aussi partie du projet ; donc oui, ça apporte quelque chose de très, très particulier au film.

Et puis, quand vous avez une scène qui montre l'effondrement de la flèche et de la voûte recréé à la Cité du cinéma et que vous avez une seule prise possible parce que c'est 15 jours d'installation et des semaines de déblaiement ensuite, cela impose de fait une obligation de réussite. Notre-Dame brûle, c’est aussi un vrai thriller, avec une espèce d'ennemi qui est le feu. Il y a donc une dimension émotionnelle qui est super forte.

Vous connaissez bien Jean-Jacques Annaud le cinéaste mais aussi l’homme. En partageant son quotidien pendant deux ans, qu’avez-vous découvert sur sa personnalité et sa manière de travailler ?

Ce que j’ai retrouvé d’abord, c’est le conteur hallucinant qu’il est. C’est-à-dire qu’avec Jean-Jacques, il ne faudrait même pas faire d’interview : vous mettez une pièce dans la machine et il vous raconte son nouveau film à travers son parcours et sa vie ! Il est toujours aussi passionnant et j'apprends des choses à chaque fois que je discute avec lui. Sinon, ce qui m’a surpris parce que je ne l’avais jamais accompagné dans un travail de A à Z, c’est la masse de documentation dont il a besoin pour préparer un film, jusque dans les plus infimes détails. Pour être déjà venu à plusieurs reprises dans sa maison de campagne, je sais qu’il conserve dans une grange tout le matériel de documentation de tous ses films. Tout ! Jusqu’aux polaroïds des essais de costumes de Jane March dans L’Amant, les essais de chapeaux… il garde tout. Donc je savais qu’il avait ce côté artisan ; mais là, j’ai vu le temps qu’il peut passer par exemple sur le visage de la statue de la Vierge parce qu’il veut en faire quatre versions pour le film. Je suis allé avec lui en repérage à la cathédrale d'Amiens, je peux vous dire qu'on s'est tapé les 350 marches ; il a pris 900 photos, du carrelage au candélabre… C'est un cinéaste qui vit à travers le réel et à travers ce qu'il perçoit du sujet de son film. Et son but, c'est de le rendre le plus crédible possible à l'écran, que ce soit un bateau sur le Mékong ou une cathédrale presque millénaire. Ce n’était pas totalement une surprise mais c’était passionnant à vivre, vraiment.

Comment transmet-il sa passion et son sens de la précision à son équipe ? A l’enthousiasme, on le sens bien en lisant votre livre, mais lui arrive-t-il d’être plus directif ?

Je n’ai pas participé à tout le tournage mais j'y suis allé quand même à un moment notamment assez tendu, quand il tournait sur le parvis de Notre-Dame. Il y avait, quoi, une équipe de 200 personnes à ce moment-là, des grues, des machines à fumée, des appareils qui envoyaient de la braise dans le ciel, plus les badauds, les vrais flics, les vrais pompiers et ce qui m'a impressionné, c'est le calme qui régnait. Vous avez ce type de 75 ans, qui a une carrière juste dingue, qui travaille sur un très gros film avec un sujet qui touche vraiment à l'Histoire de France, au patrimoine et il se balade, il blague, il voit si tout est en place et au moment où il faut tourner, bah c'est le patron du plateau.

Vous avez raison, c'est quelqu'un qui fédère l'enthousiasme et qui entraîne son équipe avec lui. Que ce soit son chef-op’ Jean-Marie Dreujou, le responsable des décors Jean Rabasse ou n’importe quel technicien, il a un mot pour tout le monde. Il ne râle jamais, ce n’est pas quelqu'un qui hurle sur un plateau. Attention, il dit les choses, c'est un patron, vraiment, mais c'est fait dans l'enthousiasme avec l’idée qu’il faut faire le film. Et au final, pour celui-ci comme pour tous les autres, il a fini en avance et en dessous de son budget donc il y a quand même une méthode Annaud qui ne me paraît pas être mauvaise.

Vous vous êtes déjà rendu sur des tournages mais pour Notre-Dame brûle, vous avez suivi toute la production du film. En quoi cette expérience a-t-elle enrichi le regard que vous portez sur le cinéma ?

Oui, c'est la première fois que j’ai pu suivre un tournage sur deux ans, même si, encore une fois, je suis loin d’y être allé tous les jours. Mais, avec Jean-Jacques, on se parlait plusieurs fois par semaine. Et j’ai le sentiment d'avoir assisté à une expérience de cinéma assez unique, quelque chose en effet qu'on ne fait pas ou plus chez nous pour diverses raisons : parce que ça coûte cher et puis parce qu’à un moment, ça ne rentrait plus dans les codes de la pensée du monde du cinéma et qu’il fallait faire les films autrement. Moi, c’est un cinéma que j'adore et je ne vois pas pourquoi on le laisserait aux seuls Américains ou aux Coréens : on a les artisans, les artistes, les cinéastes pour le faire.

Il y a aussi un sujet qui est fou : c'est l'histoire d'un cinéaste et de son style qui rencontrent un sujet qui le dépasse. Jean-Jacques le dit lui-même dans le bouquin : c'est quelqu'un qui est totalement athée mais qui est passionné par les lieux de religion et là, il a rencontré la plus belle de ses actrices : Notre-Dame ! Quand un projet comme celui-là arrive, il faut avoir les épaules pour le mener à bien et je pense qu'ils ne sont pas si nombreux que ça, les cinéastes, en tout cas chez nous, capables de s’y coller. Un type comme Besson aurait pu le faire, sans doute d’une manière totalement différente, à un moment de sa vie, mais sinon, ils ne sont pas douze en France à pouvoir mener ce genre de projet.

Votre ouvrage montre bien en effet qu’on a le savoir-faire en France pour réaliser ce type de films mais en même temps, le tournage est peut-être le dernier qui se déroulera à la Cité du cinéma puisqu’elle sera reconvertie pour accueillir le village olympique en 2024. Notre-Dame brûle apparaît comme un chant du cygne, la fin d’une aventure...

Je ne sais pas si c'est la fin d'une aventure mais en tout cas, Jean-Jacques tenait absolument à ce que le film se fasse en France. Mais cela a été très, très chaud : en juillet 2020, quand nous sommes allés en repérage à la cathédrale d’Amiens, Jean-Jacques ne savait pas du tout s'il allait pouvoir tourner en France. Il ne trouvait pas de studio capable d'accueillir un décor de 30 mètres de haut et à la Cité du cinéma, cela a été ric-rac ! Il y a eu une époque où il y avait de grands studios, à la Victorine, à Boulogne… Pour Les Enfants du Paradis, ils ont quand même en partie reconstruit Paris. Et donc Besson est arrivé avec l’idée de créer une sorte de Pinewood à la française. Bon, ça n’a pas marché pour plein de raisons mais c'est assez émouvant se balader dans cet endroit qui est immense, avec de très grands plateaux, en tout cas à l'échelle française. Je ne sais pas s’il y aura un autre tournage d’un film de cette ampleur en France et c’est dommage car, Jean-Jacques l’a constaté, on a des artisans qui sont parmi les meilleurs au monde. Pareil pour les effets spéciaux – il y en a quelques-uns dans le film.

C‘est vrai que c'est un peu rageant de voir ce savoir-faire qui n’est pas utilisé et en même temps, il faut que les studios français aient l'ambition de faire des films comme ça. Pathé s’est lancé dans trois énormes productions : Notre-Dame brûle, Les 3 Mousquetaires (1) et Astérix et Obélix L’empire du milieu. Ce sont des défis monstrueux qui impliquent que le public suive. Notre-Dame brûle, c'est un film qui va voyager alors qu’Astérix, c’est une franchise qui ne voyage pas si bien que ça dans le monde. Or, quand vous mettez 35 millions sur la table, il faut faire 5 millions d'entrées. Donc c'est une vraie prise de risque mais le pari de Jérôme Seydoux, c’est de se dire que le cinéma a perdu la moitié de ses entrées depuis la pandémie et que si on veut un jour que les gens reviennent dans les salles, il faut leur proposer un spectacle à découvrir sur grand écran plutôt qu’ils attendent que ça passe à la télé ou sur Netflix. Alors, oui, les gamins vont voir Spider-Man ou Batman et ça cartonne évidemment. Mais les quarantenaires et cinquantenaires ne sont pas tous retournés en salles. Des gens d’un certain âge me disent qu’ils n’ont pas remis les pieds dans un cinéma depuis mars 2019. Notre-Dame brûle fait partie de ces films qui peuvent ramener une partie du public dans les salles. Pour avoir vu le film sur grand écran, ça ne me viendrait pas à l’idée de le regarder sur un smartphone ou même à la télé.

Quels souvenirs marquants, quels moments forts gardez-vous de ces deux années de production ?

Il y en a plusieurs, à différentes étapes du projet. Le repérage à la cathédrale d’Amiens était à la fois passionnant et émouvant. Cela s’est passé le 11 juillet 2020 ; on ressortait juste du confinement, on revivait un peu. Qu’on soit croyant ou pas, une cathédrale n’est pas un bâtiment comme un autre. On s’est retrouvé sur le toit et Jean-Jacques se disait que certaines parties de la cathédrale pourraient représenter Notre-Dame à l’écran. Il y a eu ensuite la visite extrêmement intéressante des ateliers et des décors à la Cité du cinéma, avec notamment une maquette incroyable de la cathédrale où Jean-Jacques me montrait où il allait installer ses caméras, en expliquant qu’il n’y avait pas besoin de construire en grand la partie haute car on ne la verrait pas à l’écran. Autre moment génial : le tournage sur le parvis de Notre-Dame car on se retrouvait dans une zone ultra-sécurisée et interdite d’accès. Et puis, j'ai aussi eu la chance d’assister à la post-production, dont on ne parle pas assez : le montage, le mixage de la musique, le mixage son…  C’est génial car il y a 150 pistes son qu’il faut assembler, comme un puzzle. Vous verrez, il y a un moment à la fin du film, où les pompiers arrivent dans le beffroi pour éteindre le feu…

Pas de spoiler ! (rire)

Je crois que vous connaissez la fin (rire). Dans cette scène, l’eau projetée par les pompiers se fracasse sur les cloches et produit des sons qui se mêlent au chant des fidèles qui sont sur les quais. La scène dure deux minutes et c’est un moment magique de cinéma.

Dans la préface de l’ouvrage, vous expliquez avoir rencontré Jean-Jacques Annaud en 2007 lors de la sortie de Sa Majesté Minor. Vous lui aviez fait part de votre incompréhension face au film. Personnellement, je fais partie de ceux, certes peu nombreux, qui ont aimé ce film. Et vous, avez-vous révisé votre jugement ?

Mon "histoire" avec Jean-Jacques, elle commence là : je suis ébahi par la proposition de cinéma qu’il fait mais en sortant de la projection, je me demande qui va aller voir ce film. Je le rencontre pour la première fois et je lui dis : "Ecoutez, Jean-Jacques, je n'ai pas tout compris, je vois bien le boulot incroyable que ça a représenté mais franchement, qui pensez-vous toucher avec ce film ?" Et là, il se fâche, il me demande comment un journaliste peut dire ça, qu’il ne fait pas des films pour telle ou telle catégorie de spectateurs… Après la sortie du film, qui n’a pas marché, j'ai rappelé Jean-Jacques en lui disant : "Maintenant que le film est sorti, que vous avez digéré à la fois sa production et son échec, est-ce que vous accepteriez de faire une sorte de bilan ?" On s'est revu et il l’a fait de manière extrêmement honnête. C’est un film cher à son cœur, qu’il a écrit avec son complice Gérard Brach, sur une idée de ce dernier qui est mort peu de temps après le début du tournage. Voilà, à partir de ce moment, on a commencé Jean-Jacques et moi à être en contact et on ne s’est plus lâchés. Pour terminer sur Sa Majesté Minor, c’est un film à part dans la filmographie de Jean-Jacques, un de ceux qui ont le moins marché mais peut-être qu’on redécouvrira dans dix ou vingt ans. Un peu comme Coup de tête. Vous savez, il a fallu attendre trente ans pour qu’on se rende compte que c’est un grand film. 


(1) Stéphane Boudsocq suit régulièrement pour RTL, à la manière d’un feuilleton, le tournage de ce film en deux parties réalisé par Martin Bourboulon et produit par Dimitri Rassam. Retrouvez son premier compte-rendu dans l’émission Laissez-vous tenter.


Les secrets de l'Ours Jean-Jacques Annaud CINEBLOGYWOOD

Le livre de Jean-Jacques Annaud et Stéphane Boudsocq sur le tournage de Notre-Dame brûle m'en rappelle un autre, Les secrets de l'Ours (Grasset) de Josée Benabent-Loiseau, que je vous recommande chaudement. Tout comme les mémoires de JJA, Une vie au cinéma (Grasset), coécrit avec Marie-Françoise Leclère et que nous avons chroniqué en deux parties :

Jean-Jacques Annaud : Oscar, bide et confidences (1/2)

Jean-Jacques Annaud : seins parfaits, copulation tigrée et acteurs engagés (2/2)


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Photo : Stéphane Boudsocq et Jean-Jacques Annaud en repérage à la cathédrale d'Amiens, en juillet 2020. Crédit : Stéphane Boudsocq.

Anderton


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