En salles : C’est le film de la consécration pour Guillermo Del Toro : outre le dernier Lion d’Or à la Mostra de Venise, La Forme de l’eau a récolté le Golden Globe du meilleur réalisateur – boulevard annoncé pour un Oscar en mars 2018. Depuis maintenant 25 ans, le cinéaste mexicain, avec des hauts et des bas, est parvenu à imposer une patte sur tout ce qu’il entreprend. Et La Forme de l’eau apparaît aux yeux de beaucoup comme une forme d’aboutissement. Fable politique, conte de fées pour adultes, hommage aux classiques des films d’horreurs des années 50, le nouveau Del Toro cumule toutes les louanges. Amorce-t-il avec ce chant d’amour également une pente déclinante ?
Exaltation des exclus, as usual...
Certes, la faculté du cinéaste mexicain à donner vie à des personnages hors normes – la créature amazonienne homme-poisson, hommage direct à L’Etrange créature du lac noir ; le général psychopathe puissamment incarné par Michael Shannon ; le savant humaniste soviétique si subtilement joué par Michael Stuhlbarg – et à composer un mix de décorum inédit pour représenter les années 50 : qui a déjà filmé la Guerre froide aussi graphiquement ? suscite beaucoup d’espoir. Par ailleurs, il est jouissif de voir le réalisateur débouler dans l’Amérique de Trump pour y célébrer les monstres et les exclus, la force de l’amour hors norme face aux puissances destructrices des armes et des militaires.
Amélie Poisson
Mais premier hic, pendant une bonne vingtaine de minutes, on se pince avant de se conforter dans l’idée que le projectionniste ne s’est pas trompé de bobine. Couleurs, situations, personnages, musique, tout rappelle l’univers de Jean-Pierre Jeunet. Sous influence du cinéaste français, période Delicatessen et Amélie Poulain, l’esthétique de La Forme de l’eau ne parvient pas à se départir de son modèle. On pourrait résumer le film comme un Amélie Poulain meets L’Etrange créature du lac noir !
Un petit théâtre qui tourne à vide
Ensuite, force est de reconnaître que le système Del Toro commence à tourner à vide, sinon à lasser : on y retrouve tous ses thèmes de prédilection – sa fascination pour les monstres, la force de l’imaginaire sur la réalité, l’attention aux personnages marginaux – mais ici, le renouvellement n’opère pas : on a l’impression de voir une transposition du Labyrinthe de Pan dans l’Amérique des sixties. D’où une forme d’ennui qui gagne peu à peu le spectateur. Ennui renforcé par les torrents de musique (signée Alexandre Desplat), qui surlignent les images – déjà bien chargées – plutôt que les accompagner ou leur donner une profondeur sensorielle.
Tim Burtonisation ?
Mais on peut préférer la subtilité, l’étrangeté, l’ambiguïté du Labyrinthe de Pan, de L’Echine du diable ou de Pacific Rim à la limpidité, la poésie et l’hommage au cinéma de cette Forme de l’eau. Dont on espère qu’elle ne constitue pas la première étape de timburtonisation d’un réalisateur que l’on a vu par le passé bien plus subversif et inventif.
Travis Bickle
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