A lire : L'édition 2022 du Festival Lumière s'est achevée, une fois de plus, sur un succès populaire et critique. Rendons grâce à deux de ses co-créateurs, Thierry Frémaux et Bertrand Tavernier. Un duo lié par une solide amitié et la passion commune pour le cinéma. Dans Si nous avions su que nous l'aimions tant, nous l'aurions aimé davantage, publié chez Grasset, le cadet rend un vibrant hommage à son aîné disparu. Que dis-je, plus qu'un hommage, le texte est une magnifique et émouvante déclaration d'amour.
L'auteur prévient d'emblée le lecteur : "ce texte est un éloge, un exercice d'admiration". L'admiration pour un connaisseur pointu du 7e art, un cinéphage avide de grands classiques et de longs métrages rares, d'auteurs établis comme de cinéastes oubliés dont il aimait à parler en pensant qu'ils étaient familiers de ses interlocuteurs. Ce qui était loin d'être toujours le cas. Tavernier savait d'ailleurs reconnaître les imposteurs. Thierry Frémaux a justement gagné le respect du cinéaste par son savoir cinéphilique et sa soif d'apprendre. Le jeune homme est devenu "l'auditeur privilégié" d'une bibliothèque vivante qui était également un inarrêtable moulin à paroles. Tavernier avait la passion communicative et le verbe généreux, quel que soit son auditoire. Toute occasion était bonne pour raconter une de ses découvertes récentes, revenir sur une scène ou évoquer quelque nom crédité à un générique. Fallait suivre ! Et supporter parfois d'interminables causeries, comme le font remarquer avec humour Martin Scorsese et Jean Rochefort.
Avec Tavernier, Frémaux a affiné ses connaissances cinématographiques, s'est initié au jazz, a partagé ses goûts littéraires. Les échanges se faisaient dans les deux sens, la différence d'âge entre les deux hommes s'est effacée rapidement. Le délégué général du Festival de Cannes nous fait entrer dans l'intimité de sa relation complice avec un de ses amis les plus chers. Un ami dont il brosse le portrait avec beaucoup de sensibilité ; il décrit son engagement sincère, ses coups de gueule salutaires, narre avec tendresse ses maladresses.
Coeurs de Lyon
La personnalité de Bertrand Tavernier était appréciée du grand public, tout autant que sa filmographie, en atteste l'immense émotion suscitée par sa disparition. Thierry Frémaux n'a d'ailleurs pas digéré l'article acerbe que lui a alors consacré Libération. Dans des pages pleines de colère froide, l'auteur démonte le parti pris du journal et d'une certaine critique, qui n'a jamais manqué une occasion d'attaquer le cinéaste. Lequel faisait mine de ne pas en être affecté.
En écrivant sur son ami, Frémaux se raconte aussi. Tant sa formation que sa carrière se sont développées et enrichies au contact exigeant et bienveillant de Tavernier. Le livre décrit cette dévorante passion qui unit les cinéphiles du monde entier, une passion qui peut sembler dérisoire mais qui s'avère fondamentale pour tisser des liens, comprendre le monde dans lequel nous vivons, se divertir bien sûr. Enfin, au fil des chapitres et jusque dans le titre, d'autres compagnons de route se révèlent : Lyon et ses habitants. Si Frémaux et Tavernier ont arpenté la planète pour y parler du cinéma, y voir des films et y rencontrer ceux qui les font, ils sont restés enracinés dans leur ville, où le cinéma vit le jour au siècle dernier.
Quelle magnifique déclaration d'amour à un homme, un art, une ville. Et avec quelle manière ! Le texte est composé de longues phrases ciselées qui sont tels des travellings élégants et sophistiqués. On apprécie autant l'action décrite que le mouvement qui nous la fait découvrir. La fin du livre est poignante, nous laissant la gorge serrée. Nous savons pourquoi nous aimons tant Tavernier, Frémaux et le cinéma.
Anderton
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