En Blu-ray et DVD : As Bestas, l'un des meilleurs films de 2022, est disponible en vidéo chez Le Pacte, qui a concocté une édition qui ravira les cinéphiles. Rodrigo Sorogoyen signe à nouveau une oeuvre forte, dans laquelle Marina Foïs et Denis Ménochet livrent des interprétations mémorables.
Antoine et Olga se sont installés dans un village de Galice. Un coup de coeur pour une région montagneuse en même temps qu'un choix de vie. Le couple cultive la terre et vend ses légumes bio sur les marchés. Il retape également les maisons abandonnées d'un village qui se meurt. Mais la présence des Français irritent certains habitants, dont leurs voisins, les frères Xan et Lorenzo. Les provocations laissent bientôt place à des menaces. Mais Antoine s'accroche à son rêve.
Rodrigo Sorogoyen (Que Dios nos perdonne, El Reino) a le don de nous plonger au coeur d'un lieu, dont il fait ressortir l'ambiance viciée. Ce coin d'Espagne perdu, rongé par la misère et la bêtise, frappe par son anachronisme. C'est aussi ça, l'Europe, nous rappelle le cinéaste qui poursuit son exploration du mal. A travers des personnages riches en nuances, il raconte comment la violence se manifeste, tantôt sourde, tantôt explosive. On le sait que la campagne est une zone aux frontières de la civilisation. La rencontre des citadins et des "locaux" donne souvent lieu à des affrontements d'une brutalité que l'on croyait disparue depuis longtemps. Je pense à L'Affaire Dominici (Claude Bernard-Aubert, 1973), même si la référence aux Chiens de paille (Straw Dogs, 1971), de Sam Peckinpah, est ici manifeste.
Bascule dans la bestialité
Parti d'un fait-divers, Sorogoyen établit son univers tout en renouvelant son approche, comme il l'explique dans un passionnant entretien proposé dans l'édition vidéo. Son scénario, coécrit avec Isabel Peña, et sa mise en scène ont été longuement réfléchis. Plan séquence, lents travellings et plans à la steadycam participent à établir une ambiance en même temps qu'à illustrer le rapport de force entre les protagonistes. Du grand art au service d'un récit qui bascule à mi-chemin. Le spectateur est bousculé, malmené et surtout incité à revoir ses jugements. Car les motivations des uns et des autres sont tout sauf simplistes. A l'image de cette terre à la fois abandonnée et convoitée, dont la beauté sauvage est magnifiée par la photo d'Alejandro de Pablo. Atmosphère lourde et sombre qu'accompagne la musique minimaliste, tribale, d'Olivier Arson, qui revient sur son travail dans un bonus.
Maître de la mise en scène et de l'ambiance, dynamiteur des genres, Rodrigo Sorogoyen est également un formidable directeur d'acteurs. Pour interpréter Antoine, il a fait appel à Denis Ménochet, dont l'imposant physique est contrebalancé par un regard où percent la fragilité et l'incompréhension. Le comédien traduit toute la confusion d'un personnage déterminé à réaliser son rêve de vie et déboussolé par la violence dont il est victime. Marina Foïs apporte une force incroyable à Olga. Son visage marqué reflète une douleur qu'elle est bien décidée à transcender. Quelles formidables compositions ! Comme celle de Luis Zahera, dans le rôle de Xan, le frère aîné dont la méchanceté est alimentée par une rancoeur dont le comédien nous fait prendre toute la mesure. Diego Anido campe pour sa part un inquiétant frère cadet, un faux demeuré, victime lui aussi d'un environnement malsain. Quant à Marie Colomb, remarquée dans Les Magnétiques, elle exprime tout le désarroi de la fille d'Antoine et Olga, qui est également celui du spectateur.
Vous avez certainement vu As Bestas, présenté au Festival de Cannes 2022, figurer dans nombre de Top 10 de l'année. C'est en effet un film marquant à plus d'un titre, dont on ressort un peu sonné.
Anderton
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire